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mercredi 7 avril 2010

Le Parfum de Thérèse d'Edmond Roudnitska, ou que le vent soit doux...


Certains parfums ont un équilibre si parfait qu’ils donnent le sentiment que le moindre chuchotement l’ébranlerait, s’ils n’étaient pas conçu pour défier les époques. Des parfums dont l’éclat est parfois la seule lumière, même par grand soleil. Le Parfum de Thérèse est l’un de ceux-là pour moi, peut-être parce qu’il a été composé pour une femme qui portait le même prénom que ma mère. Mais même sous un autre nom, même s’il s’était appelé Fidji comme il a failli le faire, avant que Guy Laroche ne change d’avis et ne préfère la composition de Joséphine Catapano à celle d’Edmond Roudnitska, ce serait quand même vers lui que je me tournerais lorsque la magie du monde s’éclipse.

J’ai acheté Le Parfum de Thérèse un jour heureux, celui où j’ai signé un contrat avec une éditrice qui, je l’ai découvert alors que je prenais congé, avait connu Edmond et Thérèse Roudnitska à l’époque où elle travaillait pour Rochas ; par un heureux hasard, j’avais choisi de porter Femme ce jour-là, et Femme était le parfum chéri de Martine. J’ai porté Le Parfum de Thérèse pour me donner le courage de signer certains papiers destinés à protéger de lui-même un homme qui ne voulait plus vivre, et qui n’avait que moi dans ce pays.

Et je retrouve de temps à autre Le Parfum de Thérèse parce que chaque vaporisation me baigne de lumière. Ce melon miellé éclaboussé de mandarine et de bergamote poivrée exhale un souffle tendre de jasmin ; la mythique base Prunol d’Edmond Roudnitska est embrassée de vert acidulé. Je décèle à peine le cuir : juste un rayonnement qui ne cesse de s’envoler, ancré à la peau par une base chaude et crémeuse alors que le jasmin prend la saveur d’un fruit un peu blet…

Les accords du Parfum de Thérèse enchantent comme les morceaux d’ensemble d’un opéra de Mozart – le Soave sia il vento, « Que le vent soit doux » de Cosi fan Tutte, par exemple. Comme ces voix mozartiennes, insensées de beauté alors que le livret de Lorenzo da Ponte insinue un aparté cynique, ce parfum me dit que même les artifices, les mensonges et les trahisons peuvent se fondre dans l’envol d’une harmonie sublime – la beauté ne ment jamais vraiment.

Vous rappelez-vous cette scène, vers la fin de Manhattan, lorsque Woody Allen s’interroge sur ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ? « Eh bien, il y a certaines choses, j’imagine, qui font que ça vaut la peine. Comme quoi ? »

Le Cosi Fan Tutte de Mozart

Le regard de Marcello Mastroianni

Tout Charles Trenet

Do you wanna dance ? des Beach Boys

La première page du Jacques le Fataliste de Diderot

Be my Baby des Ronettes

La Dame offrant ses seins du Tintoret au Prado

Le Parfum de Thérèse d’Edmond Roudnitska

Ce parfum aurait dû s’appeler Joy. Merci, Thérèse.

 

12 commentaires:

  1. quand j'ai humé ce parfum pour la première fois, m'est venu à la bouche un gros mot: "il est parfait!"
    je me rappellerai toujours comment ce jour-là, j'ai senti toutes les notes entrer dans le bal les unes après les autres, vêtues de leur meilleurs habits, changer de partenaire, danser en solo, en duo ou à l'unisson pour donner finalement cette harmonie bien balancée, jamais cacophonique, qui soulève le coeur..d'émotion et de beauté...
    je l'ai fait mien, après des mois d'hésitation. ma mère ne s'appelait pas thérèse, mais ce parfum me faisait irrémédiablement penser à sa peau de femme du sud, chauffée au soleil, entourée de vergers et de champs lourds de fruits à point pour la cueillette..
    j'avais moi-même l'impression de n'être pas assez "mûre" pour l'assumer.
    le pas est franchi, depuis peu donc. c'est un de mes parfums quotidiens et avec une fleur de cassie de la même maison, un des parfums qui me transportent le plus et dans l'attachement au passé, et dans la vitalité et le bonheur présents.
    pour moi, un chef d'oeuvre.

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  2. Fleurdesel, nous aimons les mêmes parfums chez Frédéric Malle... curieux, cette impression de maturité que dégage le PdT est souvent évoquée dans les commentaires côté anglais. Je n'y aurais pas songé.

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  3. Cet article est un petit bonheur à lui tout seul, aussi, merci Denyse!
    On est sur la même longueur d'ondes pour le choix de Mozart en comparaison, du pur bonheur à tout moment, comme PDT!
    Je ne l'ai pas encore acheté, parce-que je n'ai pas encore réussi à choisir quel serait le plus grand bonheur pour moi: le porter moi-même, ou le sentir sur ma mère! Je pense que je vais en faire "mon" Roudnitschka, celui de ma grand-mère étant Diorissimo et celui de ma mère Diorella!
    Ce parfum est pour moi l'exemple parfait qu'on peut faire du floral-fruité sans tomber dans la banalité et la qualité affligeante des créations actuelles. Quel dommage que ce ne soit pas la maison Dior qui ait décidé de le commercialiser, ils ont loupé une belle occasion de relever le niveau!
    Ma petite liste à moi:
    "Les lumières de la ville" de Chaplin,
    "Le baiser" de Klimt,
    "La mort à Venise" (Mann, Visconti et Mahler d'un coup),
    "Pelleas et Melisande" de Schoenberg,
    "La pietà" de Michel-Ange,
    Gene Kelly dans "singing in the rain",
    Paris, Paris, Paris!

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  4. Clochette, Gene Kelly!!! Comment ai-je pu l'oublier. Même vieux, dans Les Demoiselles de Rochefort, juste un geste peut me faire pleurer. Et je me mords le front de ne pas avoir inclus Fred Astaire.

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  5. Merci pour ce billet vraiment inspirant, ça tombait bien je tourne autour du ce fameux prunol et de Femme de Rochas depuis quelques jours (ou encore mieux Que Sais-je? Jean Patou) alors Le parfum de Thérèse + Cosi fan tutte, ma que bello!Ce parfum me renverse, pour moi il sent l'amour qui dure et les saisons qui passent, tendres et lucides. Ah si j'osais, je le porterais!
    Dans ma liste il y aurait aussi Mort à Venise, le sourire et l'accent de Gene Kelly dans Les demoiselles de Rochefort, les concertos Vivaldi interprétés par Il Giordano Armonico, les spectacles du Théâtre du Soleil et Le Printemps de Jean François Millet.

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  6. Merci Denyse,
    Un des parfums qui me touchent le plus, et dont je découvre toujours de nouvelles facettes. Je le fréquente depuis longtemps, mais il me réserve encore des surprises (Cabochard, en vintage, est l'autre parfum que je ne finis pas d'explorer). Anatole, essayer de le porter: la vie est trop courte pour se priver de ces plaisirs.
    Puis-je ajouter à la liste Lauren Bacall dans le Port de l'angooisse et le Voyage d'hiver de Schubert ?... Et le chocolat, aussi, naturellement.
    Henri

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  7. Anatole: tendre et lucide, c'est ce que je pense de certaines phrases musicales de Mozart et, souvent, du regard de Marcello!

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  8. Henri, Lauren Bacall dans To Have and Have not... j'ai dû voir le film des dizaines de fois! Les Winterreise, je les ai dans plusieurs versions mais toutes me donnent des crises de mélancolie: je les écoute donc rarement.
    Je suis ravie de voir que le Parfum de Thérèse résonne autant sur les émotions d'autres que moi...

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  9. merci pr ce beau billet, ..;. je crois que vous m'aviez parlé de ce rdv avec votre éditrice alors que vous portiez femme...

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  10. Oui, Sophie, en effet, je vous en ai parlé alors qu'on passait précisément dans ce quartier-là... Ce que je n'ai pas ajouté dans ce billet, c'est que le soir même, je trouvais tout un lot de Femme vintage sur un site de vente aux enchères, qui venait d'être listé, et que j'ai pu offrir à mon éditrice un flacon non-reformulé de son parfum préféré, qu'elle ne portait plus depuis qu'il avait changé...

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  11. J'ai pensé aussi à Schubert, un de mes préférés, mais c'est tellement triste même quand c'est en tonalité et ambiance majeure (ceci-dit, Pelleas est bien plus sombre); peut-être la truite, plutôt, plus naïve et joyeuse! Et un dernier pour la tour, j'avais envie de partager ce très joli texte de Francis Ponge, extrait de "la rage de l'expression": "le Mimosa"!

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  12. Clochette, il faut absolument que je lise Francis Ponge. Je suis vraiment nulle en poésie post-Apollinaire!

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