À dire vrai, le fait que mes parfums soient entièrement composés d’ingrédients naturels m’importe peu, pourvu qu’ils en comportent, pour la richesse et la complexité ; je me fiche complètement qu’ils soient bio.
Et je dois avouer que la première idée, perverse, qui me soit venue à l’esprit en sentant les cinq compositions labellisées Ecocert d’Olivia Giacobetti pour Honoré des Prés a été : comment s’est-elle débrouillée pour qu’on ait l’impression qu’elle a utilisé de bons matériaux synthétiques ?
Autrement dit : comment s’y est-elle prise pour faire des parfums bio qui soient de vrais parfums ? Certes, je n’en attendais pas moins d’une parfumeuse aussi doué et visionnaire que Giacobetti : je doute qu’elle puisse signer des compositions d’une exigence moindre que celles de sa propre marque, IUNX.
Les IUNX ne sont pas bio, mais ils ont au moins deux points en commun avec les Honoré des Prés : pas de notes florales, peu de ténacité. Dans le cas des Honoré des Prés, Octavian Coifan et Jeanne d’auparfum.com en ont expliqué les raisons : impossible, vu le cahier des charges, d’avoir recours aux muscs de synthèse généralement utilisés comme fixatifs. De plus, Giacobetti a délibérément écarté certains matériaux, résines, baumes, bois (par exemple, le benjoin ou le patchouli), qui auraient conféré plus de rémanence aux compositions, pour créer les effets désirés (hespéridé, vert, herbacé-aromatique, sucré, boisé-fumé-épicé), évoquant des ambiances naturelles.
Bien que l’idée de parfumerie bio, dans ce cas, pourrait relever de la stratégie marketing, et que l’évanescence des produits risque de les rendre plus populaires auprès de ceux qui, en fait, n’aiment pas le parfum, ces cinq compositions sont excellentes le temps qu’elles durent – avec un bémol : l’alcool arrache le nez. Attendez, de grâce, qu’il soit entièrement évaporé pour humer.
Honoré des Prés est l’équivalent olfactif d’un grand jus d’agrumes variés : un cocktail vitaminé virtuel d’oranges, mandarines et citrons, arrosés d’un trait de piment (efficacité contre la gueule de bois non testée, mais possible).
Bonté’s Bloom a des nuages de rose citronnée ; la camomille bleue et la sauge lui confèrent l’odeur herbacée, légèrement animal, au bord du malodorant, d’un pré de juin surchauffé. Un trait de muguet aurait ancré tout cela pour plus d’un quart d'heure, mais le temps du voyage, c’est littéralement bucolique – Giacobetti a le génie de créer l’atmosphère aux deux sens du terme, air et ambiance.
Nu Green s’ouvre sur une bouffée de menthe et de chlorophylle (Hollywood), avant de dégager une odeur d’alcool blanc qui pourrait bien provenir du « musc végétal Indien » listé : il peut s’agir d’ambrette, qui a birn cette facette gin/vodka/poire William. À moins que ce « musc végétal » ne soit tiré de la mauve musquée, dite aussi muscatelline ou malva moschata. Quoi qu’il en soit, Miss Musc nous passe si vite sous le nez qu’on n’a pas le temps de lui demander son prénom, encore moins de lui faire souffler dans l’alcootest.
Sexy Angelic reflète la nature plus gourmande de Giacobetti, celle qu’elle dévoile dans le Safran Troublant de l’Artisan Parfumeur ou dans ses bougies IUNX, comme Papyrus et Frangipane : de l’amande à teinte anis/angélique, un mélange de peau sucrée et de bonbon (en l’occurrence, les calissons d’Aix, mélange de sucre, de poudre d’amande, de melons et d’écorces d’orange confites). C’est délicieux à s’en lécher les doigts, mais pourquoi ne pas créer l’événement au festival d’opéra d’Aix cet été, en s’aspergeant de cette odeur de friandise provençale pour se faire lécher par des artistes affamés ? Qui dit que la charité doit se limiter aux plaisirs purement altruistes ?
Chaman’s Party est le Giacobetti le plus immédiatement reconnaissable, dans le style boisé-épicé impalpable : le côté fumé-terreux du vétiver est fusé à celui du « bois de vie du Venezuela », mieux connu sous le nom de bois de gaïac, lui-même délicieusement fumé sur une douceur presque vanillée. « Les fleurs séchées de girofle de Madagascar », autrement dit les clous de girofle, viennent assécher le mélange dans une bouffée assez camphrée pour chasser les mites – d’autant que c’est le seul qui dure sur la peau -- et assez inflammable pour faire redouter l’auto-combustion des fumeurs de la Chaman's Party en question.
Pour l’instant, les Honoré des Prés ne sont distribués qu’en France : une boutique en ligne devrait s’ouvrir sous peu. En attendant, la boutique lyonnaise La Mûre Favorite prend les commandes sur son site.
Étant donné les prix assez élevé (de 128 à 148 euros) on aurait pu espérer un taux sillage/pschitt plus élevé. Mais les Honoré des Prés sont étonnamment complexes et subtils vu le cahier des charges : assez, d’ailleurs, pour être jugés sur leurs propres mérites, ceux de la parfumerie fine. Ils ne dégagent pas l’ombre du soupçon de vertu guindée des amateurs du tout- bio ; à aucun moment, grâce au ciel et à Olivia, on ne croit s’être effondré par mégarde dans l’antre d’un aromathérapeute.
Les parfums sont furieusement dans la tendance bobo bio chic : sur le site de la marque, Honoré des Prés – la contraction des noms de deux quartiers parisiens archi-bourgeois, le Faubourg Saint-Honoré et Saint-Germain-des-Prés – a été transformé en personnage de riche aristocrate épris de nature mais néanmoins nightclubber (on subodore un cousin de Frédéric Beigbeider), dans une sorte de parodie préventive assez amusante (je ne sais pas ce que ces types ont pris pour rédiger les textes, mais bio ou pas, j’en veux).
En un mot, pour moi, ce qui compte, ce n’est pas qu’il s’agisse de parfums naturels : ce sont qu’ils évoquent des moments de nature par ce qui reste, malgré tout, l’artifice d’une artiste.
Image: Green Grass Woman, Sue et Peter Hill, courtesy blog Femme, Femme, Femme