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jeudi 28 août 2008

Les Élixirs Charnels de Guerlain : Éros pâtissier


La taille du communiqué de presse d’un parfum serait-elle inversement proportionnelle à ce qu’on peut en dire ? (Mais non, chéri, la taille n’a aucune importance…).


Le lancement des nouveaux Élixirs charnels de Guerlain, un trio d’eaux de parfum aux noms affriolants – Oriental Brûlant, Chypre Fatal, Gourmand Coquin – composés par Christine Nagel, s’accompagne de textes de coloration résolument rose. Trois mini-scénarios érotiques soft qui semblent jouer sur la tendance sex-shop chic pour femme, censés orienter l’acheteuse en fonction de ses humeurs galantes – sensuelle, fatale ou femme-enfant…


Tout se passe comme si, en lieu et place des films publicitaires qui accompagnent les grands lancements, on avait décidé de publier leurs notes d’intention.


Je vous épargne la prose, que je n’ai d’ailleurs découverte, pour l’instant, que dans son involontairement hilarante traduction anglaise sur le blog Perfume Posse. Entre les courbes contemplées au clair de lune, les peaux aspergées de chocolat et de grains de poivre et la couleur du sang qui monte aux joues, disons que Régine Deforges n’a pas à se faire de souci : ce ne sont pas les auteurs de ces historiettes qui vont lui faire de la concurrence. Tout de même, cette phrase irrésistible : « Il a eu mon corps, mais pas ma part la plus secrète, mon ÉLIXIR CHARNEL »… Exactement ce que je me dis quand je m’asperge de parfum avant un rendez-vous amoureux. À côté de ça, les textes du site de By Killian (d’ailleurs retirés depuis) ont la sobriété de Marguerite Duras.


Il me suffit d’imaginer les très chics et très souriantes vendeuses de Guerlain obligées de la répéter pour rougir, et pas de pudeur. Au fait, ce bourdonnement de turbine que vous entendez en bruit de fond, c’est Jacques Guerlain qui se retourne dans sa tombe…


Cependant, il y a des parfums sous cette prose priapique. Que valent-ils ?

Disons que Guerlain, après le succès époustouflant de Spiritueuse Double Vanille, s’est résolument engouffré dans le gourmand alimentaire, du moins pour deux des trois compositions. Qui sont lisibles, assez simples et tout à fait charmantes – sans doute pas assez pour plaquer le facteur contre la porte dès le premier pschitt ou mettre votre banquier dans un tel état de transe qu’il vous consent un découvert aussi provocant que votre décolleté… D’autant que vous en auriez besoin : 75 ml valent 165 euros.


Gourmand Coquin démarre sur un accord chocolat au lait-caramélisé baptisé au rhum, capable d’affoler le taux de glycémie, mais pas forcément les hormones, à moins d’avoir un partenaire au régime. Au bout d’un moment, la vague sucrée cède à la note un peu plus sourde et brûlée d’une bonne vanille, relevée de poivre selon le communiqué de presse (mais ce poivre n’est pas extrêmement perceptible).


Chypre Fatal se conforme aux nouvelles règles du genre : structure rose-patchouli, notes de têtes vertes un peu acidulées, enrobage fruité un peu douceâtre de pêche. Sa rondeur savonneuse rappelle le défunt Parure de Guerlain sans son fond sombre de mousse de chêne. Elle n’évoque plus que par ouï-dire la complexité de la famille veloutée des grands chypres lactoniques à la Mitsouko : la profondeur de champ est écrasée, l’image simplifiée. Keira Knightley plutôt que Lauren Bacall.


Oriental Brûlant s’annonce d’entrée de jeu comme le plus Guerlain des trois jus grâce à son accord vanille-ambre-coumarine. Mais on cherche en vain la « qualité intensément animale » du styrax promise par le communiqué de presse. Ou alors, l’animal en question est un petit cochon rose en massepain : c’est l’amande qui domine bientôt, poudrée d’un voile crissant de sucre pâtissier. Octavian de 1000fragrances le rapproche d’Attrape-cœur/Guet-Apens et du défunt Cachet Jaune (qu’on peut sentir dans les « micro-ondes » du magasin des Champs Élysée, mais dont la réédition est renvoyée aux calendes grecques), et y voit un hommage à la célèbre base Ambre 83. C’est plus évident sur touche que sur peau (la mienne du moins). J’y verrais plutôt une sorte d’Hypnotic Poison moins intense, plus parfum de peau. Sans doute le plus intéressant des trois.


La sensualité assez fine – plus fine, en tous cas, que le communiqué de presse ne le laisserait supposer -- de ces Élixirs Charnels est plus gourmande qu’érotique, plus Guerlain-pour-débutant qu’aphrodisiaque. Ce qui correspondrait assez bien à un air du temps assez nuageux pour qu’on ait envie de rechercher la volupté chez le confiseur plutôt que dans des liaisons dangereuses. Et qui s’inscrit très nettement dans la nouvelle tendance des parfums alimentaires, qu’on aimerait aussi bien retrouver dans une coupe en verre givré que sur la peau. Quitte à accompagner son grignotage de la lecture d’un roman à l’eau de rose shocking. Ou à l’accompagner d’un jouet de même couleur.


Image : Focbite de Philippe Mayaux, Galerie Loevenbruck (2007).

18 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  2. Je n'ai point encore senti ces 3 "merveilles" mais ton article Carmen, et ton traitement du communiqué de presse, m'ont fait beaucoup rire ! Auraient-ils fait appel à Pauline Réage pour le concocter ? Puisqu'il ne s'agit, en fait, que d'histoires d'Ô ;-)

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  3. Au talent de chroniqueuse s'ajoute à chaque fois la pertinence de l'illustration. Quelle énergie Denyse, vous devez dépenser !

    J'avais eu vent de ces nouvelles sorties par un blog US, et l'intitulé de chaque jus, ainsi que leur couleur m'avait à nouveau fait pester contre cette maison. N'ayant plus rien à en attendre je ne peux qu'espérer que les propriétaires ne massacrent pas les anciens joyaux... mais que faire ? stocker au réfrigérateur l'Heure Bleue, Jicky, Vol de Nuit... ???

    Grrrr... C'est décidé, j'assume mon côté vieux réac !

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  4. J'aime beaucoup comme tu marques la difference entre les lecteurs francophones et les lecteurs anglophones (Duras vs Beckett etc.)
    Mais "prose priapique"! C'est trop drole, c'est vrai! Histoire d'Ô, c'est l'analogue literaire, en comparaison.

    Knightley pour CF me fait peur, cependant! Dis moi que c'est pas le cas!

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  5. Lamarr, je crois que les mânes de Pauline Réage n'ont pas de souci à se faire non plus... Ces histoires d'odeurs sont bien plus mièvres qu'Histoire d'O (qui a son côté midinette, en effet, mais qui ne m'a jamais fait glousser).

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  6. Thierry, merci! J'en ai bavé pour trouver les images, et je me suis finalement rappelé l'évidence: l'oeuvre de mon ami Philippe Mayaux,lauréat du prix Marcel Duchamp 2007. Beaucoup de ses pièces sont fabriquées à partir de moulages du corps de sa femme... Et j'ai eu la chance de participer, il y a quelques mois, à un "festin cannibale" où ces moules étaient utilisés pour faire des pâtisseries (délicieuses, qui plus est).
    Pour Guerlain, je deviens un peu réac aussi. D'autant que des parfums comme Cachet Jaune, Ode ou Djedi auraient des chances de plaire aujourd'hui. Il est vrai qu'une maison ne peut pas reposer sur ses lauriers, mais ces coups dans toutes les directions sont déroutants... Et peu satisfaisants.

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  7. Helg, je ne suis pas sûre, comme je l'écrivais plus haut en réponse à Lamarr, que ces communiqués de presse soient du niveau d'Histoire d'O. J'aurais bien aimé voir ça!
    Le chypre est très bien, mais il n'a pas de beaucoup de profondeur: j'apprécie Keira Knightley, mais enfin, je ne l'échangerais pas plus contre Bacall que je ne troquerais Mitsouko contre Chypre Fatal. Mais le premier est "difficile", ce que le second n'est pas.

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  8. J'ai adoré cette article, pertinant, informatif, un peu sarcastique et hilarant.Je pense que Oriental brûlant sera celui qui me plaira le plus, mais à 165 euros pour 75 ml je vais reflechir a 2 fois lol, surtout que je viens de m'acheter la reedition de Attrappe coeur, qui n'est qu' à 145 euros pour 125 ml!!! un excellent rapport qualité prix et du VRAI Guerlain.

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  9. excusez c'est vero59 la dessus ;)

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  10. Merci, Véro. Je crois que tu as bien fait d'acheter Attrape-Coeur, qui est aussi l'un de mes coups de foudre, et le dernier "nouveau" Guerlain que j'aie adoré (j'aime plusieurs des L'Art et la Matière, mais je n'ai pas encore craqué)...

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  11. J 'ai deja dit ce que j 'en pensais section anglophone mais laissez moi juste venir ici en coup de vent apporter mon grain de...sel...Histoire de defendre Histoire d 'O d 'Anne Desclos alias Dominique Aury ou encore Pauline Reage. lamarr meme si effectivement la version cinematographique etait une horreur, le bouquin c 'est quand meme un niveau bien au-dessus! Sachez que pendant des decennies en France on pensait que c 'etait un homme qui etait derriere le pseudonyme de Pauline Reage et qu 'en aucun cas une femme n 'aurait pu ecrire ca, rien que pour ca Histoire d 'O est a un niveau tres au-dessus de la prose pseudo-erotique de Guerlain. Maintenant je veux bien qu 'on la compare a Regine Desforges quand elle parle d 'erotisme, dans ce cas je pense que c 'est comparable.

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  12. Emmanuella, il est bien évident que Pauline Réage se situe plusieurs crans au-dessus de cette prose... L'Histoire d'O est, pour une grande part, un chef d'oeuvre (les derniers chapitres sont cependant un peu bâclés), auquel j'ai consacré un chapitre dans Sex Game Book. Le film, effectivement, bof bof...

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  13. Jubilatoire!

    Quand j'ai survolé ces communiqués de presse, j'ai d'abord honnêtement cru à une parodie... effectivement, Kilian est enfoncé!

    J'attends de pouvoir les sentir avant de me prononcer (sont-ils déjà à la boutique des Champs?), mais ce lien entre "charnel" et "sucre" me dérange. Je n'ai rien contre les gourmands, quoi qu'ils ne soient pas du tout ma famille de prédilection, mais de là à faire passer pour "torride" un petit cochon en massepain... (merci pour l'image, je crois que je ne pourrai jamais porter cet Oriental, maintenant! ;))

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  14. Six, mieux vaut en effet sentir tout ça. Notre perception de ce qui est trop sucré (ou juste assez) est certainement variable: Octavian, dont je respecte énormément le jugement, a senti tout à fait autre chose dans cet Oriental... Il est vrai que les communiqués de presse ont excité ma verve: les parfums sont bien, mais, au risque de paraître vieux schnoque comme dit Thierry ci-dessus, ce ne sont que les ombres portées des classiques. Et certainement plus portables pour une bonne part de la clientèle...
    Ils sont, en tous cas, aux Champs depuis mardi dernier.

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  15. Ah! Excellente nouvelle, il faudra donc que j'y passe plus tôt que prévu ;)

    A vrai dire, je me demande si... on s'éloigne du débat, mais peut-être que les classiques sont tout simplement dépassés pour la majorité des gens, clientèle de grande distribution et clientèle friande de confidentiels? Les perfumistas les apprécient, soit instinctivement, soit après une familiarisation avec ces senteurs bien différentes de ce qui se fait aujourd'hui (c'est mon cas!)... mais je dois dire que j'ai du mal, maintenant, à rechanger de perspective et à réaliser ce qui "passe" encore pour le grand public, et ce qui lui paraît vieillot.
    Après l'Ondée me semble encore remarquablement frais et moderne, mais les joyaux de l'ancien catalogue Guerlain, corsés et texturés, séduisent sûrement moins de nouvelles clientes qu'un Spiritueuse ou un Insolence...

    On m'a malgré tout dit, aux Champs, que Vega et Sous le Vent se "vendaient bien"... mais la Spiritueuse s'est arrachée comme des petits pains, elle, tout hors de prix qu'elle soit! Rien d'étonnant que Guerlain laisse les rééditions en suspens et renchérisse sur le gourmand...

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  16. Non, Six, on n'est pas du tout hors sujet, au contraire. C'est effectivement un parti-pris esthétique que d'alléger et de simplifier des structures classiques (chypre, oriental) en les infléchissant pour qu'elles aient des qualités immédiatement flatteuses. Regardez ce qui se passe pour le vin!
    Il faut aussi réfléchir à ce que traduit cette vogue du parfum quasi alimentaire (Octavian y fait allusion dans son dernier post).
    A supposer que la gourmandise soit le dernier péché réellement transgressif, alors effectivement, le parfum gourmand devient libidinal...

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  17. on se demande aussi si cet attrait de la clientèle moyenne entre guillemets pour le gourmand, sucré n'est pas simplement un symptôme d'une certaine nostalgie du passé, d'un regret de l'enfance avec ses saveurs sucrées, les bonbons dans la poche, le chocolat chaud de 16h avec de petites madeleines au gouter, le gateau qui sort du four chez grand mère... Le monde est devenu peut etre plus , comment dire, effrayant ? (pouvoir d'achat, chômage, insécurité de l'emploi, insécurité tout court), donc on cherche à se rassurer dans les valeurs refuges de l'enfance? on le voit aussi par nombres emissions nostalgiques, les reprises en coeur de "l'ile aux enfants", de "capitaine flamme", et l'actuel côté adulescent des soi disant adultes, d'après ce que j'ai lu, jamais on a autant consommé de confiseries à l'age adulte...
    meme pour les jeunes filles actuelles, comment porter autre chose que du sucré, elles n'ont connu que ça puisqu'on leur propose uniquement des senteurs jus de fruits, ou bonbons...à moins d'etre née dans une famille amateur de VRAIS parfums, mais elles ne sont pas nombreuses

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  18. Véro: je n'ai rien à ajouter à cette remarque, qui me semble extrêmement pertinente! C'est exactement ça.

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