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jeudi 7 août 2008

El Attarine de Serge Lutens


Ne me demandez pas comment j’ai obtenu mon échantillon… Disons que c’est par un ami d’amie, qui jure qu’il vient directement du Palais Royal. À peine quelques gouttes, dont certaines ont été imbibées par la touche ; les autres ont été vaporisées sur mon poignet, où elles s’exhalent encore…

D’entrée de jeu, une note saute au nez : El Attarine contient de la violette. Beaucoup. Du cumin. En bonne dose. Du santal, manifestement. Et du cèdre de l’Atlas.


Ça vous rappelle quelque chose ? À moi aussi...

El Attarine évoque nettement le cœur de la série des Bois, qu’on aurait coiffé de cumin et posé sur un socle de santal ; Bois de Violette enchâssé dans Santal de Mysore, aspergé de Fleurs d’Oranger. Cocktail bizarre ? Mais non. C’est Serge, c’est étrange et c’est beau.


Avec ses lancements 2008, Serge Lutens semble, d’une part, revenir au fondement même de l’art du parfum et d’autre part, résumer l’essence de son style. Serge Noire, après tout, porte son prénom, même s’il s’agit d’un jeu de mot sur l’étoffe ; mais surtout, c’est là que Lutens s’attaque au tout premier matériau de l’histoire du parfum, l’encens. Quant à El Attarine, son nom provient de l’attar, le mot arabe, emprunté au persan, qui signifie parfum (et plus précisément, de nos jours, l’essence parfumée des fleurs). Donc : le parfum arabe, en soi.


Avec ce nouvel exclusif du Palais-Royal, Serge Lutens semble revisiter l’ensemble de son œuvre, sur seize ans, depuis la matrice de la première série des Bois, Féminité du Bois, jusqu’à ses expériences récentes sur les épices (Chypre Rouge, Rousse, Five O’Clock au Gingembre). Comme s’il avait lancé une flèche à travers le temps, qui avait arraché des lambeaux de toutes ses créations passées.


Et pourtant, quelque chose, dans sa manière, a changé. Certes, Serge Noire démarre par le choc olfactif (une bouffée de camphre, poivre, clou de girofle et cumin) qu’on attend désormais de ses créateurs. Pas El Attarine, qui se déroule avec une délicatesse, une tendresse qui évoque, en biais, les dernières explorations de Lutens sur les réminiscences d’enfance (Chypre Rouge, Louve) or des découvertes culinaires passées (l’aversion surmontée au gingembre de Five O’Clock). Non pas qu’El Attarine ressemble à ces compositions : mais quelque chose, en elles, lui ont ouvert la voie. Même l’immortelle annoncée – cette note qui évoque à la fois le curry et le sirop d’érable, merveilleusement exploitée dans le Sables d’Annick Goutal ou L’Eau Noire de Dior, mais de maniement difficile – n’ajoute qu’une saveur subtil et légèrement brûlée de réglisse à l’ensemble. Une touche de miel intensifie la douceur boisée et métallique de la violette ; ma consœur Helg, de Perfume Shrine, décèle des fruits secs, mais j’avoue que cela ne m’a pas frappée.


Le communiqué de presse annonce une senteur solaire, et c’est le cas : mais un soleil filtré par le bois sculpté des moucharabiehs. L’effet d’ensemble n’est pas aussi saturé que celui d’autre orientaux épicés comme Chergui ou Arabie. Des notes difficiles, presque humaines, proches de la sueur, comme le cumin et l’immortelle sont traitées d’une main caressante plutôt que d’une gifle.


Le mot limpide ne conviendrait pas ; apaisé serait peut-être plus indiqué. El Attarine dégage une sensation élégiaque. Comme si Serge Lutens, secondé par Christopher Sheldrake (qui a reçu de Chanel l’autorisation de poursuivre leur collaboration), avait amassé tout ce qu’il savait, tout ce qu’il avait fait, avant de repartir de l’avant. Mais il est loin, comme on le chuchotait l’an dernier, de vouloir renoncer à la parfumerie : il se dit qu’il aimerait refaire une version plus pointue, plus Palais-Royal, de la fleur d’oranger, maintenant que Fleurs d’Oranger est vendu en version « export ».


Personnellement, j’aimerais beaucoup le voir s’attaquer à la fleur d’osmanthe. Et vous ? On fera passer le mot au Palais-Royal…


Image : Edward Daniel Clarke, La cour de la mosquée El Attarine en 1798, d'après Vivant Denon, Wikimedia Commons.

12 commentaires:

  1. Carmencanada, mais oui comment faites-vous, ca m 'intrigue, et comment fait Perfume Shrine des Etats-Unis? Tout cela me semble bien mysterieux...I Smell a Conspiracy! LOL
    Je viens seulement de tester Serge Noire grace aux boys de Aedes et Miguel m 'a assure que personne ne l 'a encore senti ici aux Etats-Unis, il m 'en a fait un decant de son flacon qui n 'est qu 'un tester qu 'il vient a peine de recevoir et il n 'a aucune idee quand Serge Noire sera commercialise, probablement pas avant septembre.

    Je ne sais quoi penser de El Attarine, meme si j 'aime beaucoup votre revue Carmencanada et celle de Perfume Shrine il me faudra le tester pour savoir. L 'aspect solaire semble interessant mais au niveau puremennt olfactif j 'ai peur de ne pas aimer l 'immortelle ni le cumin.

    A propos de Fleurs d 'Oranger alors donc il va etre re-reformule? Si Luca Turin/Sanchez estiment que Un Bois Sepia et Fumerie Turque ont ete reformules je peux vous certifier que FDO lui aussi l 'a ete. Je le porte depuis 1996, je le connais par coeur ce parfum: depuis deux ans et demi il est devenu plat, on ne retrouve plus l 'eclat zeste d 'orange d 'avant, les notes florales (jasmin, tubereuse, rose) sont moins intenses, il est plus "fleur d 'oranger" qu 'avant et le cumin en ressort d 'autant plus. Ce n 'est pas une catastrophe, je le porte encore et on me complimente toujours (meme si ce n 'est pas ce que je recherche mais de temps en temps ca fait plaisir surtout quand c 'est de la part d 'un bel homme mais les compliments je m 'en fous completement quand c 'est des bonnes femmes ha ha).

    emmanuella

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  2. Emmanuella, comme vous le savez, Serge Noire est déjà lancé en France. Quant à El Attarine, il a été présenté à la presse plus tôt cet été, donc certains flacons sont déjà en circulation. Perfume Shrine n'est pas basée aux USA mais en Europe, je ne connais pas sa source mais je suppose qu'elle est semblable à la mienne.
    Fleurs d'Oranger ne va pas être reformulé, il va rester tel quel. Mais certaines rumeurs semblent indiquer que Serge Lutens souhaite traiter ce matériau dans une toute nouvelle composition. Cela dit, rien n'est sûr.
    Je n'ai pas ressenti les Fleurs d'Oranger et Fumerie Turque actuellement vendus: mes flacons sont ceux du lancement. On me dit, au Palais Royal, que Serge Lutens, via Quest qui fabrique ses parfums, a fait des provisions de santal de Mysore avant l'interdiction de sa commercialisation.

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  3. D,

    Je n'ai pas senti la violette d'entrée de jeu... mais comme je l'ai déjà dit à gauche à droite, El Attarine m'échappe... il est véritablement à mi-chemin entre gustation et olfaction, pas vraiment "parfum culinaire", et cet équilibre me déstabilise.

    Je trouve effectivement à El Attarine une délicatesse, une subtilité certaines... J'aime beaucoup votre image de sa tonalité solaire comme "filtrée" - je l'avais perçue comme une résultante, les matières séchées au soleil plutôt que le soleil même...

    Sinon, un osmanthus chez Serge, ce serait délicieux! Je serais aussi fort curieuse de voir ce qu'ils pourraient faire en partant d'un thème vert, mais ce n'est pas vraiment le genre de la maison...

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  4. Six, la violette m'a beaucoup déconcertée, au point que j'ai douté de l'échantillon, car je ne lisais rien là-dessus dans aucune des descriptions, mais je l'ai sentie très distinctement avec Octavian de 1000fragrances.
    Pour le vert, je l'ai déjà évoqué à la boutique mais il semble que M. Lutens déteste. On s'adressera ailleurs pour nos envies de galbanum!

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  5. Oh, je n'en doute pas! Je ne l'ai juste pas sentie, mais mon nez ne vaut pas grand chose ;)

    Et les parfums verts m'ont effectivement l'air d'être tellement à l'opposé de l'esthétique de SL, que ça ne m'étonne pas du tout qu'il déteste!

    Mais j'y pense, j'aimerais beaucoup aussi voir une construction autour de l'œillet - et son côté épicé/girofle pourrait aussi intéresser le tandem, qu'en pensez-vous?

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  6. Six, tant que je n'aurai pas senti El Attarine sorti du flacon le 1er septembre, je ne pourrai pas mettre ma main au feu... Même si la source de mon échantillon est fiable. Ne serait-ce que je n'ai plus assez de parfum pour le retester...
    L'oeillet, en effet, conviendrait bien au style Lutens. J'en sens dans Serge Noire (le clou de girofle) mais ce n'est pas la note vedette.

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  7. j'espère pouvoir le tester vers le 20 août où je serais sur Paris, mais celà dépendra de la vendeuse qui sera là. Celà m'embêterait de la commander les yeux fermés en septembre, mais peut être m'y résoudrais-je?
    D'après les différentes descriptions lues ici et là, je l'aurais plutôt rapproché d'un mélange d'Arabie et de Féminité du bois, est'il encore une déclinaison du savoir faire lutensien, comme la série des bois qui se ressemblent en cascade, où encore comme Louve se nourrit de Rahat loukoum, ou encore comme Five o clock a enrichi Rousse ?
    Cet El attarine a t'il une identité propre en un mot ?

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  8. Véro, quand je suis passée la semaine dernière le testeur n'était pas encore arrivé. Vous aurez peut-être plus de chance le 20 août, mais la présentation se fait le 1er septembre.
    Je dirais qu'El Attarine se distingue assez fortement de la série de Bois, bien qu'il en soit issu.

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  9. D,
    Je viens de me mettre un peu de Poivre de Caron, et je vois enfin ce que vous voulez dire: il y a effectivement une affinité nette avec Serge Noire dans ce départ de girofle/œillet tellement épicé qu'il en devient poivré/camphré...
    Et alors que Poivre est généralement décrit comme chaud, je le perçois au contraire comme froid dans ses toutes premières notes de tête, justement par cet effet camphré - le même effet froid que je ressens dans Serge Noire.

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  10. Ah-ha! Je suis heureuse que vous ayez la même impression d'oeillet-girofle sur Serge Noire, Six. Pour moi, cela l'apparente à L'Origan de Coty (le vintage, of course), mais j'ai longtemps porté Poivre et la parenté est nette. L'eugénol (clou de girofle) est pour moi une senteur épicée chaude-froide, qui produit un effet glacé à force de brûler. J'ai ce même effet de chaud-froid, par des ingrédients tout à fait différents, avec Splash Forte d'IUNX.

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  11. Mmmm, j'adore tes descriptions d'El Attarine, ca me donne tres envie. Je suis sure qu'il va me plaire. J'ai deja reserve un decant chez Helg, ca me tarde de le sentir!

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  12. Tara, merci, et je pense qu'il peut te plaire. De toute façon, avec un decant, on ne risque pas grand chose! J'attends le 1er septembre pour le ressentir, mais je crois qu'une bouteille se profile à l'horizon pour moi. Elle habitera sans doute à côté de Dans tes Bras. La violette est le nouvel iris!

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