More to Read - Encore des lectures

mardi 29 juillet 2008

Quelques notes sur Olivia Giacobetti et IUNX


Les créatrices de parfum composent des senteurs à leur image ? La question même est-elle pertinente ?
Certes, elle l’est dans la mode, où le fait d’habiller quelqu’un de son sexe suppose un jeu avec l’image de soi (en l’occurrence, du corps féminin qu’on habite). De Gabrielle Chanel à An Demeulemeester en passant par Sonia Rykiel, certaines créatrices ont manifestement développé pour d’autres le style qu’elles avaient d’abord inventé pour elles-mêmes. Dans le cas des femmes parfumeurs, qui travaillent sur commande et dans une grande discrétion, la question est plus difficile à trancher, notamment par manque d’information. Il y a toutefois des exceptions, lorsque la parfumeuse en question peut lancer sa propre ligne.

Annick Goutal, qui accompagnait ses lancements des récits intimes, familiaux qui avaient vu naître telle ou telle composition, semblait mettre en flacon une part de son histoire. Et lorsqu’Olivia Giacobetti lance IUNX, c’est pour affirmer « j’y ai mis tout ce que j’aime ».

Un peu plus exposée aux médias que ses consoeurs, comme Goutal avant elle, Giacobetti laisse entrevoir la réelle cohérence qui s’exprime entre IUNX et ses goûts personnels, gourmands et vestimentaires. Ainsi, dans l’entretien qu’elle accordait en mars 2004 au magazine Votre Beauté, elle déclare son amour pour l’épicerie asiatique Tang Frères, ses fleurs de lotus et ses savons au santal ; pour la cuisine japonaise et vietnamienne et les friandises d’une épicerie anglaise ; pour le dépouillement des vêtements d’Helmut Lang et de Jill Sander ou la simplicité des tee-shirts et des jeans d’APC, les ballerines de Repetto ou les chemises blanches de Banana Republic (sous lesquelles elle avoue glisser, tout de même, une lingerie achetée aux USA chez Victoria’s Secret)…

Épices et coton blanc, épure et exotisme : la vie d’Olivia Giacobetti, retranscrite dans IUNX. Non pas sur le mode de l’extension narcissique, mais par la création d’atmosphères. Vaporeux, impalpables même lorsqu’ils évoquent le gourmand[1], les parfums d’Olivia Giacobetti sont autant d’environnements virtuels convoqués par un nuage de molécules, plutôt que des expressions de telle ou telle femme (ou homme : ses parfums n’ont pas de sexe, bien que certaines compositions attirent l’un plus que l’autre).

C’est de la brume de souvenir olfactif, le fantôme d’un moment ou d’un lieu dans lequel le corps est plongé, comme dans une vie parallèle, plutôt que le corps lui-même dans sa vanité. Les choix vestimentaires dépouillés et discrets de Giacobetti viennent accentuer ce désir de retrait en faveur de l’expérience gustative-olfactive où elle glisse autant de vignettes à la fois intensément personnelles et tellement éthérées qu’elles laissent de la place à tout autre corps/imaginaire pour s’y glisser. Le choix de ces voyages, bien plus vaste lorsque toute la gamme IUNX était disponible, se restreint pour l’instant à trois choix (trois autres compositions seront ajoutées dans les mois qui viennent).

L’Eau Blanche : vapeur

« C’est de l’eau dans l’air,
juste la présence d’une vapeur de lin blanc séché au soleil. »

Les notes citées sont le lin blanc, le beurre d’iris et le bois de teck. Ce lin blanc, bien évidemment, c’est celui du White Linen d’Estée Lauder. Mais là où le parfum américain fait vibrer jusqu’à l’éblouissement ses aldéhydes savonneux et effervescents, ici, ce n’est qu’une part infime de cette odeur de fer chaud sur l’étoffe que dégagent certains aldéhydes, une vapeur de molécules à laquelle l’iris mêle sa note métallique. Une sorte d’Été en Douce (L’Artisan Parfumeur), le tilleul en moins, hybridé d’un Hiris (Hermès) qui aurait perdu ses notes de carotte. Un parfum par soustraction, un presque non-parfum, donc, comme l’indique sa description, qui s’enfonce doucement dans un voile de musc blanc lessiviel qui accentue l'effet linge propre.

L’Éther : vibration

« L’Éther est une vapeur douce et chaude qui s’échappe d’un feu de résine,
une vapeur magnétique, un souffle de bois glissant sur la peau,
pur et enveloppant. »

Un trait de safran réchauffe une rose impalpable sur un lit de santal (Giacobetti a traité cet accord rose-safran-santal tout autrement, sur un mode beaucoup plus gourmand, dans le Safran Troublant de L’Artisan Parfumeur). La rondeur épicée de la myrrhe et la sécheresse de l’encens relèvent plus de la fumée que de la résine : l'effet est assez proche d'un autre parfum de L'Artisan, Passage d'Enfer, la rondeur vanillée du lys en moins. Un fond de musc blanc fixe ces émanations ondulantes sur la peau. Encore une fois, c’est presque plus une vibration lumineuse qu’un parfum.

Splash Forte : potion

« Une eau rouge carmin qui réchauffe et qui bouscule.
Une eau chaude de la Jamaïque gorgée de bois et d’épices flambées. »
Sa première bouffée évoque irrésistiblement ces bonbons à la cannelle en forme de poisson rouge qu’on donne aux enfants dans les pays anglo-saxons. Illusion olfactive : c’est l’accord de la menthe poivrée et du piment de la Jamaïque qui produit cet effet frais à force d’être brûlant. Outre le bay rum (essence tirée des feuilles et des fruits du pimenta racemosa, dit bois d’Inde), on décèle des épices qui ne sont pas citées parmi les notes : cardamome, cumin, muscade. L’astringence du quinquina (qui aromatise des apéritifs à base de vin comme le Dubonnet) est arrondie par un fond de musc. Une composition culottée qui mettrait le feu au palais si on la buvait, mais qui malgré son ardeur produit, curieusement, un effet rafraîchissant.

Un petit mot sur le sens d'IUNX

D’après la communication de la marque, le mot « iunx » traduisait, pour les Grecs anciens, la séduction par le parfum. Mon amie Helg de Perfume Shrine me confirme que cette définition est pour le moins fantaisiste... Visiblement, IUNX ne vise pas une clientèle d'hellénistes!
Dans l’ouvrage consacré par l’historien Marcel Détienne aux aromates en Grèce antique, Les Jardins d’Adonis, iunx « a une triple signification : c’est une espèce d’oiseau ; c’est ensuite un instrument de la magie érotique ; c’est enfin une magicienne experte en philtres amoureux. » L’oiseau, le torcol, est appelé par les Anciens « l’oiseau du délire » pour ses mouvements incessants et ses cris stridents. C’est en l’attachant à une roue qu’Aphrodite fabrique un charme tout-puissant ; la rouelle percée de deux trous et glissée sur une corde, qu’on fait tourner et siffler, reproduit ce premier iunx divin (c'est ce que représente la photo de ce post). Enfin, la magicienne Mintha, fille de la nymphe Échô ou de Peitho, la puissance de Persuasion, est aussi parfois appelée Iunx…
Puisque le destin de Mintha, amante détrônée d’Hadès, dieu des Enfers, est d’être transformée en menthe poivrée, on ne sort pas des parfums… Et l’on songe que sous l’innocence de ses chemisiers blancs et de ses ballerines, Olivia Giacobetti, dans son art de l’impalpable odorant, cache elle aussi des recettes de magicienne plus retorses qu’il n’y paraît…


[1] Pour L’Artisan Parfumeur, Giacobetti allait plus franchement dans le gustatif, avec Premier Figuier, Mandarine Tout Simplement, Fou d'Absinthe ou Safran Troublant.


Image : Deux iunx, instruments de magie érotique en Grèce ancienne, reproduits dans Les Jardins d'Adonis de Marcel Détienne.

5 commentaires:

  1. J'aimais beaucoup la boutique zen de Iunx. Les portes qui se ferment lourdement et vous coupent des bruits de l'exterieur, atmosphere feutrée, décort sobre et lisse, noir, etendue d'eau où se reposent de paisibles nénuphards. Les colonnes délivrant d'infimes doses de senteurs...tout celà envolés, ephemères et "dictatrices" lois de l'argent et de la rentabilité à tout prix, Olivia s'en était allée.
    Heureusement, la revoilà et j'espère que toutes les fragrances vont suivre, si possible en petites contenances dans de jolis cylindres noirs.
    J'avais aimé Ether, je le trouvais proche de Santal Blanc (Lutens) à l'époque, et je ne l'ai pas acheté, grand regret depuis, le flacon luminescent avec ses drôles de hieroglyphes etait superbe. Peut être mon nez n'était pas assez exercé...j'avais pris l'eau sento et l'eau argentine qui me plaisaient beaucoup...maintenant, dès qu'elles vont ressortir en petites contenances, je sens que je précipiterais pour retrouver tout celà.

    RépondreSupprimer
  2. IUNX avait vu extraordinairement grand au début. Trop? La nouvelle boutique est aussi très bien, très feutrée, très chic et zen, mais c'est une boîte à chaussures comparée à celle de la rue de l'Université.
    Les flacons sont désormais tous les mêmes, cylindriques et élancés, mais j'aime bien. Pourvu qu'on ait l'ivresse!

    RépondreSupprimer
  3. JulienFromDijon4 août 2009 à 20:47

    J'ai extrêmement du mal à vous suivre dans le parrallèle que vous tracez entre "Safran troublant" et "L'Ether".

    Pour moi, Ether est exactement une amélioration sur Passage d'enfer, plus fort, plus d'ingrédient, plus équilibré. Je retrouve l'effet "lys" plus présent et plus sucré.
    Safran troublant, bien que partageant sûrement des ingrédients, ne me vient absolument pas à l'esprit, et parler d'un "accord" safran+rose+santal me semble usurpé, ça ne me semble pas le coeur du parfum.

    Merci encore de m'avoir fait découvrir ce parfum. Il est vraiment très beau.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Exactement ! Vous avez tout dit. Je suis tellement déçue de découvrir que l'éther a disparu... Je l'ignorais, j'avais mon stock... Passage d'enfer ne tient pas autant. Avez-vous trouvé un équivalent ? Très bonne journée.

      Supprimer
  4. Julien: Ah bon. Je vois très bien le rapport entre Passage d'enfer et L'Ether, mais justement pas du tout de lys dans ce dernier. Je pense que L'Ether a de fort points communs avec les deux, sans les notes lactées de SF et sans le lys de Pd'E.

    RépondreSupprimer