Après son blockbuster La Petite Robe Noire, Guerlain – qui reste une maison surtout
appréciée en France – vise un marché mondial avec la nouvelle campagne de Shalimar, réalisée par Bruno Aveillan
(qui a signé la magnifique Odyssée de
Cartier).
Pour la première fois, c’est La Légende de Shalimar – mythe fondateur du parfum – qui est mise
en avant dans cette version réinventée des amours de Shah Jahan, empereur mogol
du 17ème siècle, et de son épouse préférée, la Persane Mumtaz Mahal,
dont l’histoire aurait été racontée à Jacques et Raymond Guerlain par un
maharadjah séjournant à Paris.
C’est Natalia Vodianova, ambassadrice de la maison
depuis 2008, qui incarne Mumtaz Mahal. Le rôle du Shah est dévolu au mannequin
français Willy Cartier, qui doit sa beauté à ses ascendances bretonne, vietnamienne
et sénégalaise… Un casting pas très ethniquement correct, soit. Mais il est
vrai que le film, bien que tourné dans le nord de l’Inde, se situe plutôt dans
les contrées de la fantasy défrichées
par Le Seigneur des Anneaux et Game of Thrones – l’idylle entre une
princesse blonde légèrement vêtue et un roi guerrier au regard de braise cerné
de khôl ne sera pas sans rappeler celle de Khal Drogo et de Daenerys Targaryen
aux aficionados de la série de HBO (ce qui n'a évidemment pas échappé à mes amis d'Au Parfum)...
… tandis que les amateurs d’histoire de l’art
saisiront sans peine la référence à L’Ile
des Morts d’Arnold Böcklin (réalisée en quatre versions par l’artiste entre
1880 et 1886).
Lorsqu’Élisabeth de Feydeau et moi avons interrogé
Bruno Aveillan là-dessus après la projection presse du film, ce dernier a
volontiers reconnu la citation : c’est l’un de ses tableaux préférés. Élisabeth
et moi venions justement de discuter du problème posé par cette référence à la
mort dans un pub plutôt destinée, forcément, à faire rêver. Après tout, ce Taj
Mahal qui surgit de Badi Lake dans le film est un mausolée. Plusieurs motifs,
quand on y regarde de plus près, y font allusion : la gravité des amants,
leurs regards d’adieu, le fait que Mumtaz Mahal parte seule sur sa barque à
fond plat – dans plusieurs mythes et religions, le passage vers l’autre monde
est représenté par la traversée d’un fleuve. Même les tons sourds et perlés du
film – si éloignés de la palette éclatante qu’évoque l’Inde – semblent renvoyer
à un monde intermédiaire, celui de l’aube ou du crépuscule…
Bruno Aveillan nous a confirmé que ces motifs
étaient bel et bien présents dans son esprit lorsqu’il a conçu le film, même s’il
n’a pas voulu qu’ils affleurent autrement que de façon subliminale. Mais la
mort fait bien partie du patrimoine du parfum, fût-ce de façon inconsciente,
puisque l’un de ses usages les plus antiques est l’embaumement. Et sans aller
jusqu’au funèbre, le parfum est bien ce qui reste après le départ de celui ou
celle qui le porte. C’est, enfin, une forme de beauté qui s’anéantit chaque
fois qu’on en jouit, ce qui, au fond, en fait l’essence même de la jouissance…
Le parfum est une forme d’art éphémère : l’antithèse
d’un monument. Peu de chefs d’œuvre ont survécu aux décennies. Shalimar, bien entendu, en fait partie –
Taj Mahal olfactif dont la beauté, comme celle du monument, reste pertinente
aujourd’hui. Sans doute doit-il cette pertinence au fait que, contrairement à
certains classiques, il n’a jamais cessé à ce jour d’engendrer des descendants :
non seulement la famille des orientaux, mais aussi tous les gourmands vanillés,
en le maintenant dans notre culture olfactive, n’ont cessé de lui injecter une
nouvelle vie.
bonjour Denyse,
RépondreSupprimerwelcome back !
Un bravo pour ce fil rouge que vous avez tiré de ce petit court métrage.
Il lui donne un peu de relief !
ce nouveau film accompagne-t-il une reformulation de Shalimar ?
Désolée de ne pouvoir vous écouter ce soir, j'aurais vraiment aimé.
Bonne rentrée,
hélène
Bonjour Hélène, c'est bien d'être de retour ! Après la mort de Sandrine, j'avoue que je n'avais pas trop envie de continuer comme si de rien n'était, puis j'ai été engloutie par les deadlines d'avant les départs en vacances, puis je me suis dit que je m'offrirais bien le luxe d'un vrai break... que je n'ai pas eu, notamment parce que j'ai préparé cette fameuse conférence de ce soir! Depuis la semaine dernière on refuse du monde... la folie.
RépondreSupprimerPour la reformulation, je ne crois pas.
J'ai trouvé ça fort dommage de ne pas avoir glissé dans le film une référence aux jardins de Shalimar ! J'aime qu'un film publicitaire évoque visuellement les notes du parfums, mais comme vous l'avez dis, les couleurs gris-perle du fim de Bruno Aveillan évoque moins l'orient éclatant de Shalimar qu'un au delà céleste aux ton d'un après-la-pluie tristoune. Il est dommage aussi de n'avoir fait résidé la sensualité du parfum que dans les plans d'une mannequin dénudée... Pour moi le film ne correspond pas au parfum...
RépondreSupprimerNfO, en vous lisant, je songeais que vous commentiez ce film un peu comme on parlerait de l'adaptation au cinéma d'un grand roman...
RépondreSupprimerCe court-métrage ne m'a pas fait rêver.
RépondreSupprimerL'idée de départ est déjà compliquée. L'exotisme contenu dans le nom de Shalimar est une invitation à la rêverie.
Utiliser l'histoire et la légende au premier degré conduit à perdre en intensité.
Et puis les gros sabots de la réclame sont là, joli décors trop éclairés, fille à poil, vue aérienne de reportage Géo.
Quelle mystère reste-t-il s'il n'y a aucune part d'ombre, plus rien à explorer?
La photographe est parfois très belle, mais sans rapport avec le parfum.
Heureusement, on n'est pas non plus dans la catastrophe industrielles. L'égérie est très belle. Une impression de Guerlain "qui veut faire comme les autres", avec un budget mais sans propos.
Je préfère les pub "opium" des années 80-90, ou les pub pour "Samsara". L'artificialité y est assumé, le message est renforcé, et en tant que spectateur j'arrive mieux à me lâcher.
Et puis Shalimar, c'est pas plutôt le nom du jardin?
Avec toutes ces "vieilles pierres" ça manque de trucs vivants dans le clip. De joie. De luxuriance. (Je rejoins involontairement ton propos)
On ressent la solitude des 2 personnages. On voit 2 acteurs qui font semblant de s'aimer.
Ah, moi qui aime bien les vieilles pierres et les paysages un peu désolées, je dois dire que ça m'a fait voyager...
RépondreSupprimerLa femme qui met du MKK attend son prince moghol. ;)
RépondreSupprimerPour moi, Jacques Guerlain a utiliser "Shalimar" comme on ferait références aux 1001 nuits. Pour le rêve, presque enfantin, et la poésie. Comme un dessin de livre pour enfants plein de couleurs.
Oui j'ai peut être involontairement penché vers la critique d'adaptation littéraire, exercice auquel je suis plus habituée... Je n'y aurais quant à moi pas songé et la finesse de votre observation me sidère !
RépondreSupprimerJulien, à ce propos, si vous n'avez jamais lu la traduction des 1001 Nuits par le Dr. Mardrus (ami de Poiret), je vous les recommande... C'est fabuleux et nettement plus cru que les versions qui circulent habituellement.
RépondreSupprimerNfO, ce phénomène m'a frappée lorsque j'ai suivi les discussions sur le film... traité, pour le coup, comme un vrai film plutôt que comme une pub.
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