A un moment où le statut
artistique du parfum est plus que jamais discuté/disputé, la démarche d’Olfactive Studio – utiliser des photographies d’art contemporaines comme briefs des parfumeurs – fait ressortir les problèmes posés par cette discussion.
Quelque persuadé qu’on
soit que le parfum peut être un art, il se crée et circule dans des conditions
qui ne correspondent pas du tout à celles de l'art.
Olfactive Studio, comme un certain nombre de marques de niche, tente d’atténuer cet écart en accordant une très grande liberté aux parfumeurs, dont les développements
ne sont que légèrement orientés (lorsqu’ils le sont) par Céline Verleure,
créatrice de la marque. Cette liberté s’étend au rapport du parfumeur à la
photo qui lui sert de brief, qu’il ne s’agit pas du tout d’illustrer
littéralement. Les parfums peuvent d'ailleurs parfaitement exister sans les photos. Dans leur ensemble, en tant que collection, ils reflètent un
parti-pris esthétique, un goût (Céline
Verleure accorde une grande liberté aux parfumeurs mais elle sait ce qu’elle
aime, et ce qu’elle veut pour sa marque).
Avec Lumière Blanche, il
me semble que la tension créée par l’asymétrie entre le parfum et la photo artistique
est d'autant plus exacerbée, voire révélée au sens chimique, photographique du terme, que Massimo Vitali plus inscrit dans le monde de l'art que les précédents photographes de la "galerie" d'Olfactive Studio (son travail, exposé dans le monde entier, figure notamment dans les collections du Guggenheim et de la Fondation Cartier).
La photo fournie par Vitali n’est pas qu’une
belle image : elle est tirée d’un travail sur les plages et, plus
généralement, les activités de loisir, entamé depuis plus d’une décennie. Leur beauté formelle est saisissante, mais d’après le site du photographe, qui vient du photojournalisme, cette série est également
une réflexion sur « les conditions internes et les perturbations de la
normalité : beauté cosmétique factice, sous-entendus sexuels,
marchandisation des loisirs, impression illusoire de prospérité et conformisme
rigide ». Autrement dit, cette photo relève d'une démarche aussi politique qu’esthétique, inscrite dans un corpus, lequel corpus s'inscrit dans une biographie, un contexte social, ainsi que dans le marché de l'art. Cette langue de craie primitive sur fond
de mer de plomb où se dressent de chétives silhouettes humaines n'est pas qu'une évocation de leur journée torride dans un paysage spectaculaire, mais aussi un
commentaire impitoyable sur leur vanité et leur insignifiance : un degré
de plus dans la surexposition, et elles se vaporiseraient comme si elles n’avaient
jamais existé.
On pourrait avancer qu’une
marque comme Olfactive Studio est également, à sa manière, une réaction au
factice, à la marchandisation, au conformisme de l’industrie du parfum. Mais le
parfum en lui-même, Lumière Blanche, ne peut pas charrier un réseau de
significations aussi complexe que la photo qui l’inspire, ne serait-ce que
parce qu’il n’appartient pas à une série créée par un artiste selon une
intention spécifique : comme l’immense majorité des parfums, il a été
suscité par un brief plutôt qu’une recherche personnelle.
Ainsi, la réponse, le commentaire de Sidonie Lancesseur à la
photo de Massimo Vitali porte essentiellement sur cette photo en tant qu’entité
discrète, sur ses propriétés physiques, sensorielles. Sa blancheur aveuglante.
L’incandescence du soleil à son zénith reflétée par la craie et une mer
vif-argent. Sidonie Lancesseur traduit ce contraste entre la chaleur torride et
la fraîcheur de l’eau en jouant sur un chaud-froid d’épices – morsure verte-amère-hespéridée
de la cardamome, sensations presque tactiles de la cannelle et de la badiane. La haute définition de ces notes de tête
épicées agit comme les traits de couleur nets et nerveux des silhouettes
humaines sur le fond quasiment abstrait du paysage naturel.
Mais le cœur de Lumière
Blanche dévoile une autre interprétation de la blancheur. Comme dans Blanc de Courrèges, les deux notes qui la traduisant sont l’iris et l’amande – cette dernière,
plus laiteuse et beaucoup moins sucrée-dragée que dans le Courrèges,
intensifiée par les facettes également laiteuses du santal. C’est en cela que
Sidonie Lancesseur prend une tangente par rapport à la cruauté grandiose de la
photo de Vitali. Le nuage de tendresse de ces notes de cœur pourrait être, en
quelque sorte, une interprétation contemporaine de l’eau d’ange inventée à la Renaissance,
où des épices comme la cannelle ou le clou de girofle relèvent le benjoin et
qui doit peut-être son nom, d’après Annick Le Guérer, à la douceur vanillée de
cette résine nouvellement importée en Europe à l’époque.
La Lumière Blanche de
Sidonie Lancesseur n’a pas la même odeur que l’eau d’ange recréée par Dominique
Ropion pour Annick Le Guérer, mais elle cadre la même zone de la carte
olfactive. On ne peut s’empêcher de songer que cette idée de « lumière
blanche » porte en elle celle d’apparitions angéliques : elle
évoquerait ainsi indirectement cette eau d’ange utilisée pendant des siècles à
la fois pour embellir et protéger contre la peste… Cette réminiscence, peut-être
inconsciente, est ce qui donne à Lumière Blanche autant de profondeur de
résonance qu’à la photo de Vitali, mais dans le domaine qui lui est propre et
sur lequel le parfum peut avoir un discours spécifique. En plus, ça sent divinement bon.
Je n'ai pas encore senti ce parfum, ni d'ailleurs encore aucun de cette nouvelle marque. Sidonie Lancesseur a également signé 3 Kilian et je décris souvent 2 d'entre eux comme ayant une tonalité froide, plutôt blanche. Où trouve t'on ces parfums stp? Je t'avoue qu'en regardant rapidement la photo, j'y ai vu un paysage de neige!!!
RépondreSupprimerRebecca, ils sont disponibles chez les "usual suspects", Jovoy et Sens Unique. Pour moi il s'agit de l'une des meilleures marques de niche récentes, avec une vraie cohérence de concept et de style olfactif même si chaque parfum est créé par une personne différente.
RépondreSupprimer(pas encore senti "lumière blanche", en mauvais élève)
RépondreSupprimerAmande, iris, doux et lumineux comme la neige, mais "fluffy" doux chaud et sans lourdeur : mon esprit aiguille directement sur mon souvenir de la "cologne blanche" de Dior.
"Cologne blanche" a ses adeptes. J'ai toujours été un peu rebuté par son aspect "indéfini". Lumière blanche semble avoir une personnalité pour mieux le faire briller.
Il était arrivé dans les finalistes du prix du parfum du jury?
Anonyme, je n'ai pas Cologne Blanche sous le nez mais de mémoire, je dirais que Lumière Blanche a plus d'aspérités grâce à ses épices froides.
RépondreSupprimerJe me suis offert les quatre échantillons du "Studio Olfactif". Personnellement, j'avoue un gros coup de foudre pour "chambre noire", la composition du parfum, le nom (à double sens car c'est aussi bien la pièce où l'on développe les photos que le lieu où se passent des choses secrètes) et la photo elle-même: j'ai vécu 3 ans au Caire et comme vous Denyse, il me semblait bien avoir reconnu l'endroit. D'ailleurs j'adore ce concept d'associer deux sens, deux arts: la vue et l'odorat. Il manque plus le toucher et là je suis dans le pur sensuel !
RépondreSupprimerLumière Blanche est mon second "préféré" comme dit ma fille: franchement, ce lait d'amande parfumé à la cardamone est absolument divin et le parfum porte bien son nom. Il est lumineux tout en ayant une sacrée présence. J'ai emmené mes quatre échantillons pour les faire découvrir à trois amies et collègues et chacune a craqué pour un parfum différent. Elles m'ont toutes demandé le nom du créateur et l'adresse du site. Je ne suis pas peu fière d'avoir contribué à faire connaître ces parfums magnifiques qui se situent bien loin du monde du marketing et de la rentabilité à tout prix (on reprend la même bouteille, on change à peine le nom...).
Ambre Rouge, je suis ravie de tout ce que vous me racontez, car je suis persuadée qu'Olfactive Studio est une marque de niche qui peut faire aimer le niche à la plupart des "non-initiés"! C'est un vrai plaisir de faire découvrir de beaux parfums autour de soi...
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