À l’angle du stand où je faisais ma séance
de dédicaces à Esxence, un couple (lui :
lunettes, air doux, allure sérieuse ; elle : jeune Chinoise délicate,
vive et souriante) distribuait des fleurs en papier au lieu de mouillettes pour
faire sentir ses fragrances. Le nom de la marque, YS.UZAC, me disait vaguement
quelque chose – la rumeur d’une nouvelle petite maison en Suisse à laquelle il
fallait s’intéresser. Mais c’était surtout ce que dégageait ce couple qui me
donnait envie d’aller jusqu’à leur stand.
C’est ainsi que j’ai rencontré
Vincent Micotti, créateur d’YS.UZAC et ancien violoncelliste dans un orchestre
symphonique suisse. Il y gagnait bien sa vie, mais il rêvait d’être parfumeur.
Comme il s’agissait d’une conversation informelle, je n’ai pas pris de notes,
mais il me semble qu’il m’a dit qu’il était autodidacte, conseillé par les
aromaticiens des grands labos implantés en Suisse (autrement dit, Firmenich
et/ou Givaudan). Nous avons donc parlé musique, et sommes tombés d’accord sur
le fait que le parallèle musique et parfum était en fin de compte assez peu
fécond. De cuisine : il m’a raconté qu’il adorait aller sentir les herbes,
épices et fruits des marchés asiatiques. De jardins, et de la nécessité pour un
parfumeur d’être en contact intime avec la vie végétale. Ce qui me l’a rendu
encore plus sympathique. Nous avons donc échangé nos cartes, puis des emails,
et peu de temps après une enveloppe m’est parvenue de Suisse, contenant deux
petites boîtes noires exquises recelant chacune deux échantillons généreux des
quatre parfums de la gamme.
Parmi ceux-ci, c’était déjà Pohadka
qui m’avait frappée à Esxence. Le nom, qui signifie « Conte de fée »
en tchèque, est celui d’une composition pour piano et violoncelle de Leoš Janáček, tirée comme le ballet de
Stravinski du conte russe de l’oiseau de feu. L’inspiration, apprend-on sur le
site d’YS.UZAC, provient du vignoble en terrasses de Lavaux, site classé au
patrimoine mondial par l’UNESCO sur la Riviera vaudoise.
Mais ce qu’évoque avant tout
Pohadka, c’est une autre institution suisse, Davidoff : c’est le parfum au
tabac le plus beau et le plus réaliste que j’aie senti. Est-ce pour cela que
Vincent Micotti, par association poétique, lui a donné le nom d’un morceau
inspiré par l’oiseau de feu ?
Pour rendre cet effet, plusieurs matières
premières naturelles à facettes foin-tabac sont superposées. La flouve (c’est l’herbe
bison qu’on retrouve dans les flacons de vodka Żubrówka), avec sa touche
maltée. Le liatris avec ses effluves miel, vanille et coumarine – substance d’ailleurs
largement employée pour aromatiser le tabac, tout comme le davana, qui sent les
fruits secs, la confiture de rose et le vin. La sauge sclarée produit également
des effets tabacés : je me rappelle que lorsque Bertrand Duchaufour l’a
ajouté à l’un de ses essais pour Séville à l’aube, ajouté à l’ambroxan elle
évoquait la cigarette, voire le cendrier. Quant à l’immortelle, également
classée dans la famille des notes tabac, son côté réglissé – boosté, me
semble-t-il, par celui de l’isobutyl quinoléine qu’on trouve par exemple dans
Bandit – elle sert de terreau à la note jasmin, via les légères facettes céleri
de la fleur. Le céleri, qui présente lui-même une facette tabac, étant situé
comme la réglisse dans la zone olfactive des anisés.
Le parfum des fleurs de tabac, qui
appartient à la même famille que le datura, est proche de celui du jasmin, ce
qui n’a évidemment pas échappé aux parfumeurs : l’accord jasmin-tabac a d’ailleurs
été exploité dans le Jasmin et Cigarettes d’Antoine Maisondieu pour État Libre
d’Orange. Pohadka inverse l’équilibre des notes de ce dernier en faisant du
tabac la dominante : le jasmin est là pour faire respirer la composition
et l’attendrir.
Bien qu’il ne joue essentiellement
que sur une seule note, Pohadka est délicieusement facetté et d’une naturalité
saisissante. Il vient enrichir une famille olfactive très clairsemée, qu’on
assimile en général à celle des cuirs, où le site d’YS. UZAC le classe. Et
comme son modèle, il s’avère si redoutablement addictif que même en se
tapissant de Nicopatch, on n’arriverait pas à en décrocher.
Les parfums et les échantillons sont en vente sur le site d’YS.UZAC.
Ca donne envie!!! Je suis moi-même violoncelliste et ai immédiatement tilté sur ce nom, Pohadka...
RépondreSupprimerPouvons-nous découvrir YS.UZAC à Paris?
Note de Parfum, non, cette marque ne se vend pas encore à Paris à ma connaissance...
RépondreSupprimerTu en parles si bien.
RépondreSupprimerImmortelle et jasmin. J'imagine une densité incroyable, deux petites fleurs surpuissantes.
Je ne crois pas avoir déjà porté de parfum tabac, mais l'immortelle et le jasmin me séduisent aisément.
Lalla, ce n'est pas le jasmin qui prédomine mais vraiment les effets tabacés. Très peu de parfums jouent là-dessus, donc il est bien normal que tu n'aies pas pu en porter jusqu'ici...
RépondreSupprimerBonjour Denyse!
RépondreSupprimerJe suis content de lire votre avis à propos de Pohadka. Je voulais m’atteler à la rédaction d'un article à son sujet, et voilà t'y pas que je tombe sur le votre! Tant pis, ce sera pour une prochaine fois...
Pohadka est le seul parfum de la maison YS-Uzac avec lequel j'ai accroché tout de suite. C'est Monsieur Micotti lui-même qui me les avait présentés. Ce qui m'a séduit chez ce parfum, c'est ça douceur incroyable pour un "tabac", il en est presque langoureux. Mais attention, pas langoureux avec des notes ambrées, musquées ou que sais-je; langoureux avec des notes d'herbe sèche, d'humus et de feuilles tiède! C'est une sieste en plein été sous un arbre. D'ailleurs, grand amoureux des plantes et de la nature, dès les premières inspirations, c'est en forêt que m'a fait voyager Pohadka, avec sa note subtil de champignon.
Vraiment une très très belle découverte qui revisite le genre des tabacés!
Merci pour l'article, Denyse.
A bientôt...
Patrice, très franchement, comme vous parlez d'aspects tout autres que moi je ne vois pas ce que vous empêcherait d'écrire? Ce ne serait pas la première fois que des avis sur un même parfum paraissent à peu près au même moment. Tout à fait d'accord sur cette impression de naturalité, de foin, que je n'ai pas soulignée assez.
RépondreSupprimerCa va pas bien d'nous tenter comme ça?
RépondreSupprimerJe résume :
Des ingrédients qui font très "perfume geek" : cuir (isoquinoline), tabac, immortelle, sauge sclarée, davana (hiiii!!!).
Ajoutons 2 ingrédients qui m'étaient inconnus. Ces herbes sorcières que sont le liatrix et la flouve. XD
Et une inspiration poétique d'europe de l'est tout à fait ravissante. Pour un parfum introuvable.
Dernièrement je me suis procuré "eau noire" de Dior (250ml, un décant?).
Reste sur ma wish list, déjà bien dégommée, "knize ten" ou "1740 marquis de sade" (d'histoires de parfum). J'aime la langueur addictive de "knize ten", et Pohadka me rappelle que 1740 utilise aussi le davana, le tabac, et l'immortelle.
Tu placerais Pohadka plus proche de quel parfum prédécents : 1740, knize ten, (jolie madame de balmain), ((bandit)), ... ?
Merci encore de nous défricher le chemin dans la jungle des nouveautés parfums. :)
Julien, j'aime beaucoup ce terme d'herbes sorcières, que j'utilise d'ailleurs (mais pas pour celles-là) dans mon prochain article de Citizen K... En fait, Pohadka ne me rappelle directement aucun parfum que tu cites. De mémoire (trop tard pour fouiller dans l'armoire), 1740 est beaucoup plus sucré. Les trois autres sont d'une écriture d'une autre époque. Ici, on est sur une écriture plus simple et des effets plus naturels. Le commentaire de Patrice ci-dessus est juste.
RépondreSupprimerDonc "langoureux avec des notes d'herbe sèche, d'humus et de feuilles tiède! C'est une sieste en plein été sous un arbre"
RépondreSupprimerOn aurait réinventé la mousse de chêne ^_^ !?
(après tout, je parle bien de "chaudron de sorcière" pour parler de la mousse de chêne)
Bon, il faudra que je le sente, ce Pohadka.
Julien, on n'est pas loin de cette vibration-là...
RépondreSupprimerDiable, que ça fait envie!
RépondreSupprimerLyschwa, je ne pousse pas au crime, mais je crois que le kit découverte n'est pas très cher...
RépondreSupprimerJe l'ai découvert récemment. Quel parfum ! Il m'a rappelé un homme aujourd'hui parti en fumée entre mes mailles. C'est un des plus beaux tabacs que j'ai senti ces dernières années.
RépondreSupprimerLe vieux pull, c'est vrai, c'est un très beau tabac, parfait pour ces journées froides... en vieux pull, forcément!
RépondreSupprimer