J’étais sur le trottoir – c’était là que mes copains clopaient – quand j’ai remarqué un bébé bobo devant la galerie, affublé d’un badge des Ramones. « Mais pourquoi tu portes ça ?, ai-je rigolé. Non seulement tu n’étais pas né, mais tes parents étaient à peine pubères, et encore, c’est pas certain. » Bébé bobo ne m’a pas craché à la gueule. Il a même eu l’air un peu blessé. Je me suis sentie un peu coupable, et pour le consoler je lui ai raconté que j’avais un tee-shirt porté par Joey Ramone sur scène, que m’avait refilé un de leurs roadies, qui était plus mignon que Joey, DeeDee, Tommy et Johnny réunis (paix à leurs âmes, même à Tommy qui est toujours vivant), Danny au nom polonais bourré de consonnes dont je ne suis jamais arrivée à me rappeler, même si j’ai passé quelques nuits avec lui. Je n’étais pas une groupie : j’étais critique rock à un âge où ma présence dans les clubs n’était même pas légale.
Oui, doux lecteurs, j’ai connu l’ère punk en direct à New York et Montréal, bien que Sid Vicious ait déjà passé l’arme à gauche lorsque je me suis retrouvée à Londres, nez à nez avec John Lydon, parce que je sortais avec un chanteur qui avait formé un groupe avec Rat Scabies, l’ex-batteur des Damned (vous suivez ? pas grave).
Je peux donc affirmer sans crainte de me tromper que le punk sentait la sueur, la cigarette et la bière (également utilisée en guise de produit coiffant par les garçons, bien que j’eusse préféré une mixture d’eau et de sucre), le cuir et le latex, rapport aux harnachements bondage.
Ce que le punk ne sentait pas, c'était le citron métallique additionné de poivre gris, rendu un peu douceâtre par l’héliotropine sur vague fond de patchouli (les mecs qui portaient du patchouli, on leur crachait dessus).
Le parfum Sex Pistols distribué en exclusivité par Sephora pour État Libre d’Orange est un masculin nerveux et maigrichon signé Mathilde Bijaoui (déjà auteur du très joli Like This "fronté" par Tilda Swinton), à qui on ne reprochera pas de ne pas être née à l'époque (elle n'y peut rien). Le jus est bien siglé des aldéhydes néon destroy introduits dans le style maison par Antoine Maisondieu, mais il est loin d’exhaler « l’odeur de l’anarchie » ou de jouer les révolutions en flacon. Le cuir cramé de Rien, par la même maison, pourrait le bouffer cru au petit déjeuner et rester sur son appétit.
Pas la peine d’avoir lu le Lipstick Traces de Greil Marcus d’une couverture à l’autre (d’autant que la traduction est exécrable) pour comprendre que Malcolm McLaren (paix à son âme aussi) ne nous a pas manipulés en créant les Sex Pistols de toutes pièces, mais en nous faisant croire qu’il l’avait fait. Le monstre proverbial avait échappé à son créateur : si vous n’avez pas ressenti un shoot d’adrénaline la première fois que vous avez entendu « Anarchy in the UK » pour la première fois, à l’époque, vous aviez du jus de navet à la place du sang. Que les Sex Pistols survivants aient ouvertement affiché l’exploitation cynique de leur légende en intitulant leur tournée de réunion de 1996 « Filthy Lucre » n’y change rien. Durant leur existence brève et mouvementée, les Sex Pistols étaient bien plus que des Bay City Rollers avec épingles de sûreté et dents vertes : les vocaux craché-vomis-hurlés de Johnny Rotten ont été les pires agressions commises sur la voix humaine à être gravées sur vinyle.
Cela ne me choque pas spécialement de voir le nom des Sex Pistols affiché sur un flacon de parfum pour être fourgué aux bébés bobos dans les hangars à cosmétocs de LVMH. Il était fatal qu'une marque néo-dada surcodée comme ELd'O s'en empare: après tout, la mode est aux zombies. Le punk avait été récupéré par le commerce quelques mois à peine après sa naissance, bien qu’il ait survécu plus longtemps que les autres mouvements de contreculture dans le système D, et je ne suis que modérément traumatisée d’assister au revival d’une musique de mon adolescence. En 1976, Johnny Rotten hurlait “I am an anti-chrrrrrrrrrrrrrrrist”. Maintenant, ça serait plutôt LVMH qui briguerait le titre, et Lydon se la coule ronchon en Californie.
Quant au “No Future”, BP et compagnie sont en train de s’en charger pour nous.
et oui, il y avait de quoi faire un jus revolutionnaire avec un nom pareil, vite senti, vite oublié
RépondreSupprimerles djeuns en quête d'identité revolutionnaire tenteront peut etre, mais ce sera plutot un gentil roquet maigrelet montrant les dents sans mordre, sortant du salon de toilettage , et se couchant au moindre haussement de ton
anti social tu perds ton sang froid!
Vero, ce serait à supposer qu'un parfum puisse l'être! En tout état de cause, ce seront sans doute ceux qui s'achètent des sweats en cachemire Patti Smith chez Zadig & Voltaire qui se précipiteront. Et encore...
RépondreSupprimerAlors là, total respect! J'étais trop jeune pour être punk mais La new wave qui a suivi m'a bien secoué et ces souvenirs de l'ère pré-SMS me replongent dans ces années ou je tentais désespérément d'avoir la même coiffure que Robert Smith, ou mieux:Siouxie Sioux. Cheveux crêpé, laque, gel, eau sucrée ... Du moment que ça tenait.
RépondreSupprimerChacun sa jeunesse plus ou moins tumultueuse: les bébé bobo poseurs que je vois défiler toute la journée rue Montorgueil me sont quand même plus sympathique que les hippy chic ou pire la tendance scout queer de cet été.
No comment pour le jus, à force on finit par être blasé. Dans le genre foutage de gueule, j'ai senti hier le dernier Private de Tom Ford: Azure Lime, 150 euros les 50ml de Cologne citronnade homme sport chic, faut oser!
Je me suis régalée à vous lire… Votre description me fait penser à ces pulls Zadig ornés des inscriptions « Mick » ou « Rock », ou de têtes de mort… Un rock très soft et convenable(on tombe forcément dans l’oxymore) ! Le nouveau jus d’ELO (que j’irai « quand même » sentir, par curiosité) et eux semblent fait pour aller ensemble… LVMH ne manque pas de cynisme je trouve ! L’âge de la récup’ est là… Eh bien nous irons voir ailleurs !
RépondreSupprimerPS : je viens de lire votre réponse à Véro59, great minds think alike...
Oups, "faits" !
RépondreSupprimerAnatole, on leur a fait prendre bien du service,aux produits capillaires dispo à l'époque! A la limite, aldéhydes = Elnett, mais bon... Ma période Siouxsie a précédé ma période Blondie, elle-même suivie de ma période B 52s, mais là c'était plus simple: perruques 60s!
RépondreSupprimerRafaèle, en effet. Ces pulls Z&V, ça me fait m'étrangler!
RépondreSupprimerC'est amusant, j'ai eu exactement la même réaction lorsque j'ai su que ELO sortait un parfum inspiré par les Sex Pistols (http://therebelgardener.blogspot.com/2010/06/etat-libre-dorange-chez-sephora.html). C'est dommage de gâcher leur "image" comme ça : j'ai beaucoup de sympathie pour cette marque, et ce malgré certaines fragrances un peu bancales (il y a quand même des petites merveilles dans leur gamme) et une communication légèrement grand guignol.
RépondreSupprimerMais bon, comme je suis en ce moment en exil dans un trou perdu, je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir ce parfum. Je pars quand même avec un a_priori assez négatif.
Anne, ELd'O veut se faire du blé, visiblement. Pour moi, ça devient plutôt de la veine Oh my Dog -- mais là, on est plutôt dans la veine Iggy Pop période Stooges, "Now I wanna be your dog"...
RépondreSupprimerMalheureusement pour ce parfum, si son nom fait sursauter quand on traverse un Séphora... et même piler net- c'est ce que j'ai fait il y a quelques jours, la fragrance elle n'a rien pour attirer, choquer, charmer voire seulement chatouiller une demi-narine. Pfff... Pas sûre qu'elle ne vale un billet de vous. Enfin, si il est très drôle tout de même, ce billet. Un peu triste dans le fond aussi.
RépondreSupprimerPour la comparaison avec Zadig & V. ... raah je ne suis pas tout à fait d'accord pour mettre le tout dans le même sac, peut-être parce que le jus Z&V, Tome I, La Pureté, comment dire ?oh voilà: je l'aime bien!
alizarine
Alizarine, je ne parle pas du parfum de Zadig & Voltaire, que je ne connais pas, mais de cette récup' rock qui m'agace -- toujours eu horreur des tops avec des trucs écrits dessus, de toute façon. Quant à savoir si Sex Pistols mérite un billet... comme certains me reprochent gentiment d'être trop gentille, pour une fois que je n'ai pas envie de l'être... Mais triste? Pas forcément. Fâchée. Un chouïa, mais surtout dans la chute du papier, la dernière phrase. Là, il y a de quoi être furieuse. Un parfum pas terrible, bof... On s'en remettra.
RépondreSupprimer"(vous suivez ? pas grave)"
RépondreSupprimerJ'ai totalement jeté l'éponge de comprendre la généalogie des groupes punk, comme des groupes rocks. Y arriver serait surhumain.
Le côté constructeur de ce billet, c'est que tu donnes clé en main ce que devrait sentir un tel parfum, à tout parfumeur de bonne volonté qui viendrait à passé par ici.
L'image de LVMH en antéchrist m'a fait rire, c'est bien loin de l'image glamour qu'ils veulent se donner :D
Quand aux bobo, tout ça, c'est le même thème rabâche de la "révolte consommée". C'est comme le T-shirt "Che Guevara" qu'on voit partout et qui m'agace. C'est peut-être même le prochain parfum d'ELd'O, à grand renfort de patchouli et de tabac...
Julien, à vrai dire, un parfum qui rendrait l'odeur de l'époque du punk, j'aime autant ne pas y penser. S'il avait existé dans ce temps-là, ce serait Bulgari Black que j'aurais porté. Ça aurait pu être Bandit, mais justement, peu de temps après, je tombais sur l'un de ses descendants, Van Cleef and Arpels.
RépondreSupprimerQuant à suivre la généalogie des groupes punks, fallait être là, ou journaliste rock. Pas grave, vraiment, d'autant que le chanteur du groupe en question, mon ex-fiancé, n'a pas que je sache fait une carrière qui ait laissé des traces!
J'avais pensé à Bulgari black, à l'évocation du cuir et du latex. Mais je me suis retenu de le dire, de peur que tu trouves ça inapproprié.
RépondreSupprimerCar il y a un côté bergamote, et thé, qui donne un côté rafiné, qui n'appartient pas au punk.
Et puis je reste très attaché à ta description de lui comme "parfum pour répliquant". Je l'associe à un univers post apocalyptique. Entre le côté humain féminin du "earl grey" à la vanille, et froid mécanique (caoutchouc des pneus, cuir, ambré boisé anguleux).
Je n'étais pas là (et pas né), alors peut-être qu'en effet, il n'y a qu'un pas entre "post apocalypique" et "no future".
Tu me rappelles, que lorsque je serais rentré en France, je compte essayer de porter "bulgari black", je veux tester s'il développe encore cette aura presque sexuelle de cuir et latex et sueur (à côté des aspects climatiques et minéraux). Il instaure vraiment sa propre ambiance, séduisante dérangeante intimidante, même si les autres ne le voient pas, ce parfum imprime l'image que les autres se font de nous.
Julien, tu aurais dû nous voir à l'époque: ma bande et moi étions férocement sophistiqués! Très art school! L'Earl Grey n'aurait pas déparé.
RépondreSupprimerBlack est en effet une très grande création, dommage qu'il soit si peu mis en avant, je crains à tout moment qu'il disparaisse! (non pas que j'aie des infos là-dessus)
Denyse, Julien, vous m’avez donné grande envie de sentir ce Bulgari Black… Il me semble très susceptible de me séduire… Mais j’ai fait chou blanc dans toutes les parfumeries « de chaînes » (je devrais mettre parfumeries entre guillemets aussi) où je suis allée, dans plusieurs villes, dont Lille où on trouve quand même pas mal de choses intéressantes en parfums : pas de Black, voire pas de Bulgari masculins (alors que les féminins sont référencés !). Idem au Printemps. Je trouve ça rassurant quant à sa qualité et son originalité (ce n’est manifestement pas une vache à lait !), et pas rassurant quant à son avenir…
RépondreSupprimerRaphaèle, la faible diffusion de Black est en effet inquiétante. Je l'ai trouvé au Sephora des Champs et en ligne. Un courrier au service client de Bulgari est resté sans réponse. Il est peut-être temps de stocker...
RépondreSupprimerSpéciale dédicace à DB, pas récupérée, elle ;)
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=WIXg9KUiy00&feature=player_embedded#!
lala
Hello tout le monde!
RépondreSupprimerJ'arrive clairement après la bataille, mais je voulais juste rectifier quelques éléments: le parfum Sex Pistols n'a pas été vendu sous la marque Etat Libre d'Orange. Pour preuve, le nom de la marque ne figure pas sur le packaging, et le parfum est absent de la gamme institutionnelle.
Enfin bref, je pense que l'important concernant ELO en ce moment est le parfum qu'elle se prépare à lancer: Archives 69 - à sentir en avant-première à la boutique (69 rue des Archives): magnifique selon moi! :)
Juliette, écrivez-vous de la part d'ELO? Peu importe d'ailleurs. En effet, Sex Pistols n'a pas été commercialisé sous cette étiquette, mais c'est un produit lancé par la société soeur d'ELO, donc conçu par la même équipe. Et pour le coup, pas très bien conçu selon moi, contrairement à de nombreux produits ELO, beaucoup plus intéressants en effet...
RépondreSupprimerBonjour Carmen,
RépondreSupprimerJe suis désolée si mon premier post sur votre blog vous a paru un peu abrupt, mais je l'ai écrit en tant que fan inconditionnelle d'ELO... ce qui implique un léger manque d'objectivité et/ou de tact dans mes propos concernant la marque!
J'en profite donc pour me présenter: je suis étudiante à l'ISIPCA, mais avant tout Grassoise et passionnée de parfum depuis... fort longtemps. Pour autant, je ne savais pas que tant de personnes revendiquaient cette même passion sur la toile, c'est pourquoi je suis friande d'avis comme les vôtres.
Pour clore une bonne fois pour toutes le sujet ELO et éviter tout malentendu, mon but était simplement de préciser les infos que vous aviez données.
Quoi qu'il en soit, il est vrai que Sex Pistols n'est pas au coeur de l'esprit ELO, alors que sa dernière création - à mon sens - l'incarne totalement.
Je vous souhaite en tout cas une très bonne continuation!
Juliette
Juliette, merci de ces précisions et bienvenue sur Grain de Musc! Mon petit soupçon provient du fait que souvent, lorsqu'une personne se précipite pour défendre une marque, on finit par apprendre qu'il s'agit d'un collaborateur ou ami des personnes concernées... Comme je le disais, ce n'est pas grave du tout.
RépondreSupprimerEn fait, ELO est une marque que j'apprécie notamment à cause de l'écriture olfactive qui s'y est développée et que dans une certaine mesure, les visuels et les noms ont tendance à noyer lorsqu'on découvre la collection.