Une Fleur de Cassie de Frédéric Malle : Enfant de Bohême

Quelle fleur Carmen lance-t-elle à Don José, le malheureux officier qu’elle subjugue, entraîne dans la sierra pour en faire un contrebandier, abandonne pour un torero, et transforme en meurtrier – « Jamais Carmen ne cèdera ! Libre elle est née, libre elle mourra ! » -- plutôt que de lui revenir ? Ce n’est ni une rose gitane, ni un œillet andalou. Carmen a planté un bouquet de fleurs de cassie entre ses seins ; elle en tient un brin entre les dents. Prenez garde à ces petites boules jaune soleil : elles sont loin d’être aussi innocentes qu’elles le prétendent.

Il y a quelque chose de la sévérité de la Carmen originale – celle de Mérimée – dans la composition de Dominique Ropion pour Frédéric Malle. Sous la promesse de soleil entre les nuages de printemps – l’acacia farnesiana fleurit au sortir de l’hiver – il y a des flaques et de la boue. Ce printemps n’a rien de propre : sa fraîcheur est trompeuse, comme sa douceur. La cassie, l’ingrédient star, a plusieurs facettes : le carton mouillé qui l’assimile à l’iris, le boisé balsamique, la cannelle et l’amande amère. Couplé au mimosa et à l’éclat métallique sucré de la violette, il dégage une odeur cuirée ; les indoles du jasmin le tirent vers l’animal – comme Carmen lorsqu’elle enjoint José d’abjurer sa mère, sa fiancée et son rang d’officier. Un trait de cumin souille encore ce mélange, avec son soupçon de sueur humaine. Et pourtant, d’un bout à l’autre de son développement, Une Fleur de Cassie conserve sa vitalité printanière, une douceur poudrée d’héliotropine, qui brouille encore les cartes.

Dans le très beau texte qu’elle lui consacre, Marina de Perfume-Smellin’ Things taxe ce parfum d’impudeur. Impudique, il l’est sous cette composition merveilleusement classique et soudée. Cette femme fatale n’a pas besoin d’échancrer son décolleté. La bouffée qu’elle dégage en mouvant ses jupes – s’est-elle roulée dans la boue ? – suffit à semer le trouble. Si Une Fleur de Cassie est innocente – elle l’est sur certaines peaux --, c’est comme une femme qui préfère la liberté au mensonge.

(Dédié à K., qui l’a acheté samedi et qui m’en a embaumée à chacun de ses gestes, et à Cait, qui en a fait un récit magique sur Légerdenez.)

Image : Raquel Meller et Louis Lerch dans le Carmen de Jacques Feyder (1926).