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mardi 28 octobre 2008

Onda de Vero Profumo : le miel, la boue, la chair


« Au départ, l’idée était de créer un vétiver cuiré entouré de notes florales et chyprées et mon fantasme ressemblait à celui-ci : Isabella Rossellini dans le rôle de la mystérieuse Dorothy Valens, portant une magnifique robe en velours bleu, et Johnny Depp dans le rôle d’Ed Wood portant la perruque blond platine sexy et glamour de Glenda, dansant tous les deux un tango argentin très lent dans la Roseland Ballroom de Manhattan. »

Vero Kern interviewée par Helg dans The Perfume Shrine

J’ai sans doute fait partie des premières personnes à adopter Onda. J’ai découvert Vero Kern grâce à l’interview citée ci-dessus – Helg a été, me semble-t-il, celle qui a dévoilé l’existence de la petite marque de niche suisse Vero Profumo à la blogosphère. L’un des parfums de Vero s’appelle Kiki, en hommage à Kiki de Montparnasse, la muse et maîtresse de Man Ray : c’était le nom de ma Siamoise adorée. J’ai écrit à Vero pour lui demander un échantillon. Elle m’en a généreusement offert de ses trois parfums puis, après plusieurs échanges d’e-mails et une rencontre à Paris, elle m’a donné son amitié.

Il m’est donc d’autant plus difficile d’écrire au sujet d’Onda : non seulement est-ce le parfum d’une amie (mais je l’ai aimé avant d’avoir appris à mieux connaître Vero), mais il a suscité une prose extrêmement poétique dans les blogs, à laquelle je me demande comment je pourrais ajouter. Helg parle de son côté charnel d’avant le péché originel ; pour Marina de Perfume-Smellin’ Things, c’est l’utopie bucolique d’un habitant des villes. Christopher de Vetivresse évoque à la fois un lieu de sacrifice de haute altitude et un vestiaire de lycée après un match dans la boue. Pour Jeanne d’auparfum, ce sont « ces après-midi passés quand j’étais enfant à explorer les vieilles armoires poussiéreuses de ma grand-mère, et ses tiroirs remplis d’objets antiques, maquillages et bijoux d’un autre temps, à jouer par terre à même le parquet fraîchement ciré »… Mais ma métaphore préférée est sans doute celle de Tom, à nouveau sur Perfume-Smellin’ Things : « C’est Garbo, arrachant gaiment une racine de ses doigts manucurés, essuyant la terre en riant, et la mordant sans prendre garde au jus qui pourrait tacher sa robe du soir d’Adrian. » Garbo rit : on ne peut pas ne pas aimer.

Qu’ajouter à tout cela ? Les parfums de Vero Kern ont une âme, et comme toutes les âmes, ils recèlent des beautés sublimes et des secrets troublants.

Onda est une histoire de terre, de fleurs et de chair barbouillée de miel épicé. Le miel et le musc enveloppent les notes terreuses de l’iris, du patchouli, de la mousse de chêne et du vétiver Bourbon de relents humains qui donnent l’impression d’avoir fourré son nez dans les vêtements portés et rejetés par l’être aimé – il y a plus qu’un soupçon de petite culotte dans ses accords. Le gingembre et le santal réchauffent le mélange, le basilic le rafraîchit d’une bouffée presque menthée.

Mais le plus étrange est qu’au bout de plusieurs heures, une note verte et florale fuse de cette bouffée d’odeurs touffues pour en couper la densité : elle rappelle brusquement Diorissimo. À tel point que vous humez autour de vous pour trouver qui le porte – est-ce cette vieille dame assise à vos côtés dans le bus (après tout, vous passez justement devant la boutique Dior de l’avenue Montaigne) ? Mais non, le muguet vous suit jusqu’à la maison.

Cette note solitaire de pureté printanière qui surgit du brouet cuiré est le secret d’Onda – un secret qu’il partage avec les parfums d’antan, qui recèlent presque tous dans leurs formules une touche d’hydroxycitronellal, l’un des plus anciens matériaux synthétiques floraux de la parfumerie. Il permet d’ouvrir la composition (voir mon post sur la Grande Bulle Blanche et Verte).

Onda est d’une densité implacable, qu’il partage avec certains parfums vintage (on songe à Visa, Tabu ou Shocking). Et pourtant, sa syntaxe est différente, profondément idiosyncrasique. Curieusement, ses notes de fond sont poussées vers le haut, et l’évolution d’Onda renverse la pyramide classique : ses notes les plus délicates s’envolent sur la fin. Le miel phénolique – augmentez un peu sa concentration, et il sentirait la pisse – livre ses notes florales, et le musc ambré prend la fine odeur salée qui émane des coussinets d’un chat.

Comme toutes les compositions de Vero, Onda n’est disponible qu’en extrait. Bien que je le trouve profondément fascinant, à cause de son intensité, de sa concentration et de son étrangeté, je trouve qu’il exige trop d’attention – un peu comme mes parfums vintage – pour être porté sur un mode désinvolte. Mais parfois, lorsque j’ouvre mon tiroir à parfums, il m’appelle. Lorsqu’il le fait, je consens, et je m’enfouis dans ses délices érotiques de sous-bois.

Image: Mud Reclining de Melanie Shiff (Saatchi Gallery).

8 commentaires:

  1. Tout ceci est très intrigant...

    Encore une fois Denyse vous transcendez l'art du "survey" et de l'illustration et pas seulement dans le sens iconographique du terme.

    Quand vous faites allusion à la densité des parfums vintage j'imagine qu'Onda n'a pas la patine de ses aînés ?
    Cette allusion à la petite culotte pour sexuelle qu'elle est doit-elle être également considérée comme sexuée ? (Je ne sais pas ce que donnerait d'un point de vue "stylistique" le terme de "kangourou")

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  2. Thierry,
    Pour ce qui est de la patine, c'est difficile à juger, précisément parce que les vintages ont acquis leur patine avec le temps. Onda a une écriture moderne - mais certains "grands anciens" aussi! Je pense que la différence réside dans l'intensité de la note miel, que je n'ai jamais relevée dans des compositions pré-1950.
    Quant à la petite culotte... Je pensais plus "humain" que masculin ou féminin -- rien ne rappelle spécifiquement l'un ou l'autre, mais l'odeur a quelque chose d'intime et d'un peu sale.

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  3. Je pense que l'on peut écrire sur Onda à l'infini... Cette oeuvre raconte son histoire à chaque personne qui le découvre. Une histoire de terre, de bois, de parquet, de miel, de fleurs, mais surtout une histoire humaine, faite d'émotions et d'amour.
    Je suis tout à fait d'accord avec l'aspect "petite culotte", sans être vraiment sexuelle, il y a une dimension un peu sale dans Onda, dûe au miel, mais qui lui donne son côté unique, qui frôle le repoussant, borderline entre le divin et l'inquiétant.
    Il me semble que le point commun entre un parfum comme Onda et les meilleurs vintages connus doit être le non respect des recommandations de l'Ifra, ce qui ne fait pas de Vero pour autant une hors la loi, mais une bienfaitrice des amoureux des oeuvres d'art odorantes...
    Et merci pour la citation ;)

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  4. Jeanne, merci pour ces commentaires qui viennent enrichir votre propre lecture, que j'avais beaucoup aimée. En effet, c'est un parfum qui a une âme, et qui, donc, autorise des récits très différents.
    Pour le côté divin/repoussant, vous indiquez très justement le miel: c'est le côté presque "pipi" de cet accord qui rappelle, je crois, un gousset qui n'est ni masculin, ni féminin... Tout cela s'accorde parfaitement avec la discussion du mois dernier sur les parfums "sales".
    Et vous avez raison, le trait d'union entre Vero Profumo est les vintages est la non-conformité aux préconisations de l'IFRA (qui n'est pas, comme vous le dites très justement, une non-conformité à la loi, puisqu'il ne s'agit que de préconisations et non d'une réglementation).

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  5. il faut que je ressorte mes echantillons, j'avais aimé et je les avais trouvé très agréable mais sans m'y être attardée. Je dois être passée à côté de quelquechose quand je lis ces avis élogieux. Donc copie à revoir pour moi

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  6. Véro, c'est l'histoire de ma vie! Ressayez-les, ils sont magnifiques et toi qui aimes le cuir, tu ne peux qu'être, à tout le moins, intriguée.

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  7. Ah, Onda - quand je l'ai senti pour la premiere fois, c'etait la decouverte d'une merveille, riche et exaltante. Rien qu'une goutte dure toute la journee.. c'est mon parfum le plus sexy. Merci Vero!

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  8. Tara, ce qui est intéressant, c'est qu'il est sexy d'une manière pas évidente, comme tous les hommes et les femmes les plus intéressants érotiquement...

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