Christian Astuguevieille est le premier à l’admettre :
il a tiqué lorsque le groupe Puig, détenteur de la licence Comme des Garçons
Parfums (tout comme de Nina Ricci et Paco Rabanne) lui a demandé un oud.
Prendre en marche un train plus bondé que le métro de Tokyo aux heures
pince-fesses ? Pas le genre d’une maison qui a d’ailleurs dès 2001 -- soit
un an avant le M7 d’YSL, généralement
donné comme pionnier en la matière – introduit la note oud en parfumerie
occidentale avec le Séquoia de
Bertrand Duchaufour pour la Series 2 : Red.
Puig tenant tout de même beaucoup au produit, le
directeur artistique de CdG Parfums et Antoine Maisondieu (Givaudan) se sont
exécutés, en partant de la structure du Wonderwood d’Antoine Lie. Mais sans ajouter une goutte de oud. Nenni, insista Puig, il
nous faut du oud. « On a été mauvais
élèves », admet Christian Astuguevieille. « On a gardé nos différents éléments et on a ajouté du oud. »
La plupart des parfums revendiquant la note ne
contiennent pas l’ingrédient, non seulement parce qu’il vaut « le prix de
l’or » (comme s’empressent de préciser tous les dossiers de presse), mais
parce qu’il est difficile d’en obtenir des quantités suffisantes, d’une qualité
assez constante, pour que les maisons de compositions puissent assurer sa
conformité réglementaire et le faire figurer à leurs catalogues. Givaudan avait
néanmoins accès à un oud issu d’arbres cultivés en Indonésie. Dont acte : Wonderoud a les moyens de sa
nomenclature.
So far, so
oud… Sauf que les propos ci-dessus ne sont pas issus de confidences
soufflés en off, mais ceux, tout à fait officiels, tenus par Christian
Astuguevieille lors du lancement au Palais de Tokyo. Façon de retourner ce
brief imposé en en montrant les coutures – ce qui est, pour le coup, assez dans
le style d’une maison qui n’hésite pas à exhiber, dans la mode ou dans
l’olfactif, ce que la plupart des autres s’ingénient à raboter.
Selon Antoine Maisondieu, le oud amène dans une formule ce
que des épices peuvent amener ; certes cuiré et animalisé, avec des
relents amers, il n’a pas la rondeur d’une civette, par exemple. Dans Wonderoud, la structure boisée de Wonderwood, accentuée et « encore plus moderne », est
boostée par des notes ambrées boisées (les fameux « bois qui
piquent »), intégrés de façon à ne pas « dépasser
sur la peau ».
Résultat : ça ne râpe pas. Ce bloc de bois
anguleux, marqueté de notes planquées en général plutôt dans les tréfonds de la
pyramide olfactive, irradie comme la forêt de Tchernobyl. Moins santalé que son
modèle, mais plus touffu de vétiver – dont les effets silex, salés,
pamplemousse sont lisibles en tête-cœur-fond – Wonderoud pourrait tout aussi bien revendiquer le rhizome comme
thème. Patchouli, bois de gaïac, cèdre et santal australien ajoutent des facettes crayon taillé et
miel-tabac-fumée.
Refusant résolument de céder aux poncifs
moyen-orientaux en collant une rose ou un musc à leur oud, Astuguevieille et
Maisondieu l’intègrent à leur palette en ingrédient de parfumerie plutôt qu’en
marqueur culturel.
Tu m'as donné envie de le sentir (encore).
RépondreSupprimerMais, remarque un peu à côté, je suis heureuse de voir que CdG reste fidèle à ses valeurs et à ses façons de faire. Cela nous changent des discours formatés de la plupart des marques... Mais je ne sais pas si l'esprit de la maison saura perdurer dans un groupe qui produit aussi beaucoup des parfums les plus racoleurs et bas-de-gamme du marché.
D'une certaine manière, cela me fait un peu penser à la manière dont Serge Lutens résiste un peu à Shiseido en lançant dans la gamme "propre" qui lui a certainement été demandée, des formes olfactives tellement jusqu'au-boutistes qu'elles en sont presque importables. Hormis pour les amateurs de sensations fortes donc...
Cette course à l'oud me semble d'ailleurs s'essouffler, et même si j'ai hâte de sentir ce que CdG a produit avec Antoine Maisondieu, ou ce que nous réserve l'Incendiaire, je suis un peu déçue de voir ces maisons qui ont résisté jusque là aux sirènes de l'appât facile, tomber aujourd'hui dans le panneau. Les moyens-orientaux semblent tout de même se détourner de plus en plus de ces produits calibrés pour leur plaire...
Et désolée pour les fautes immondes, je n'ai pas pris le temps de me relire...
SupprimerSalut J!
SupprimerTu abordes plusieurs sujets qui m'intéressent bien évidemment aussi; je vais répondre dans l'ordre...
1) Cdg est dans le giron de Puig depuis un bail, et la première réaction de Rei Kawakobo à la signature de l'accord a été de sortie la série des Synthetics. Je pense que quelques parfums sont là un peu pour "faire plaisir à Puig", mais en gros, la maison a vraiment tenu le cap et à mon avis on ne risque pas de les voir tomber dans le mainstream! (Et pour le reste, comme disaient les producteurs américains d'antan, "Puig is laughing all the way to the bank")
2) Ta remarque sur la collection "propre" de Lutens me semble juste: les jus, surtout Laine de Verre, pousse le propos tellement à fond qu'ils en deviennent avant-gardistes.
3) Moi aussi, ça me chagrine de voir les derniers carrés de résistants se jeter à l'oud. Quant à une saturation de la clientèle moyen-orientale: au stand Cartier des Galeries Lafayette, j'ai ouï dire qu'à la sortie des Heures Voyageuses, ces mêmes clients ont commencé par renâcler... avant de dévaliser le stock, à tel point que les testeurs ne sont même plus sortis car tous les flacons se sont envolés. Preuve qu'il y a encore de la marge de manoeuvre.