« Pourquoi est-ce que tout ce que je fais
devient byzantin ? », se demandait Chanel. C’est ce penchant pour l’Empire
Romain d’Orient, reflété par le miroir vénitien, qui a fourni le concept de Coco Noir (tout comme l’orientalisme de
l’appartement de la rue Cambon avait jadis inspiré Coco).
L’
eau de parfum lancée en 2012, si elle était assez
chargée en patchouli pour justifier l’épithète de « noir », suggérait
plutôt une petite robe que les brocarts d’une dogaresse. La nouvelle version
parfum offre une expression beaucoup plus riche et plus juste de l’inspiration
vénitienne.
Coco Noir
Parfum ouvre la structure fruitchouli de l’eau de parfum pour libérer les
fleurs. Plutôt que notes, rose de mai et jasmin offrent à la composition une
matière veloutée, une mâche qui
amplifie le style rétro déjà décelable dans la première version. Mais c’est à
un ingrédient bien moins glamour qu’est dû l’effet le plus intéressant…
Tout
comme Coco a transformé l’humble jersey en tissu couture, le géranium rosat,
cultivé dans les champs des Mul à Grasse avec le jasmin, la rose, la tubéreuse
et l’iris dont les récoltes sont réservées à Chanel, se mue en star. C’est sa
fraîcheur rosée-menthée, glacis posé sur le brocard de velours des bois et des
baumes, qui confère à Coco Noir Parfum
l’éclat d’un miroir noir.
La métaphore m’est venue avant même de savoir que
les miroirs noirs existaient, et qu’ils étaient utilisés pour la divination et
la convocation des esprits, comme la boule de cristal. On le sait, Chanel, comme
ses amis surréalistes, s’intéressait à l’occultisme – intérêt éveillé par son
grand amour, Boy Capel. Elle a découvert Venise, ville criblée de symboles
maçonniques et alchimiques, après la mort de ce dernier – mort qui l’aurait
poussée à créer le
N°5, sublimation
de son deuil, selon Jean-Louis Froment, commissaire de
l’exposition N°5 Culture Chanel… On ne trahit donc
pas forcément l’esprit de Gabrielle lorsqu’on se sert du miroir noir de
Coco Noir Parfum pour convoquer les
spectres.
Ce spectre, c’est le chypre. Ou plutôt, cette part
du chypre qui lie le fruit au bois – penchez l’axe de Coco Noir sur la carte olfactive, et vous frôlerez l’un des
territoires annexes de Femme, Féminité du Bois (l’orientalisme épicé
du premier Coco pouvant jeter un pont
entre ces derniers). L’un et l’autre co-signés par Christopher Sheldrake n’ont
pas la même odeur : c’est plutôt l’équilibre de leur structure
fruit-bois-musc qu’ils partagent. Si bien que lorsqu’on louche de ce côté-là, Coco Noir devient tout d’un coup nettement
plus byzantin. Question de magie noire.
Illustration: Le Titien, La Femme au miroir, vers 1515 (Musée du Louvre)