jeudi 25 septembre 2008

Chanel Cuir de Russie, a whiff of emancipation



When I escorted a group of students from the London School of Fashion to last year’s Années Folles exhibition in the Parisian Musée Galliéra, I had them smell some of the fragrances of the era: Lanvin My Sin, Jean Patou Cocktail, Shalimar, N°5… and Chanel Cuir de Russie. To my surprise, most of them (19/20 year-old Americans) preferred the latter despite its animalic facets, though they tend to wear the ubiquitous fruity florals of the generation… Was it by comparison, because some of the other fragrances smelled of “old lady-ish” aldehydes? Because “leather” gave them a point of reference, as opposed to the other, more abstract compositions? Or was it transference, because they had correctly guessed that their lecturer loved Cuir de Russie above all the others?

If there was only one for me, Chanel Cuir de Russie would probably be it.


Its warm, slightly oily, tarry base notes of styrax, birch tar and castoreum, which discreetly recall the most luxurious of leathers, are punctured by the aldehydic fizz; these thousands of pinpricks infuse the iris into the leather notes, to open up and dry up the composition. When the iris rises up again, propelled by the aldehydes, it carries all the other floral notes with it: jasmine, rose, ylang-ylang, orange blossom…


That’s the genius of the composition. Cuir de Russie (1924) isn’t the first fragrance of the family – it was already a genre in and of itself since Guerlain’s and Rimmel’s 1875 launch of their own “cuir de Russie”… It isn’t even the first feminine leather fragrance: Caron had been selling Tabac Blond, an oriental version of the theme, to women since 1919.


But it is a very peculiar version of the genre, because of the strong dose of iris – according to Luca Turin, this is more of a leathery iris than a leather fragrance as such. The very structure of the scent (as in Bois des Iles and N°22) is a variation of that of N°5 – which already displays a slightly leathery base, especially perceptible in the vintage versions.

Thus, Chanel Cuir de Russie is first and foremost a distinctly Chanel/Beaux aldehydic floral with a leather base, rather than a true “cuir de Russie” like, say, L.T. Piver’s.


When Gabrielle Chanel decided to add it to her catalogue, it wasn’t just because the “cuir de Russie” scents were fashionable (her collection did comprise a Jasmin, a Rose and a Chypre, all compulsory references for perfume houses at the time). During the post-WWI years, White Russians flowed to Paris, intensifying a yen for all things Russian that had already been awakened by Diaghilev’s Ballets Russes. Chanel herself was surrounded by Russians, starting with her perfumer Ernest Beaux; she was friends with the impresario Diaghilev, the composer Igor Stravinsky, the dancer Serge Lifar; between 1920 and 1923, she had an affair with the Grand Duke Dimitri, who was probably the one who introduced her to Ernest Beaux, a perfumer at the Imperial Court for the Russian house of Rallet.

Russia inspired her collections during that period. She borrowed the peasant blouse; she worked with furs; her fabrics were adorned with Slavic motifs by the embroidery house founded by Dimitri’s own sister, the Grand Duchess Maria.


Leather was also a scent of the zeitgeist. As a material, it was traditionally associated with masculine pursuits (cars, aviation, travel, English club chairs), the very activities the 1920s Garçonnes appropriated: as a note, it became the olfactory emblem of the emancipation of women.

The house of Chanel was keenly aware of this: a 1936 text, possibly handed out to salesladies and found by Richard Stamelman, who quotes it at length in Perfume : Joy, Obsession, Scandal, Sin, makes this crystal-clear:

“It is the very scent of travel, of the transatlantic cabin, of the hotel room where she closes sumptuous suitcases, her heart filled with the vigorous joy of promising discoveries and rich tomorrows. And this is why I easily imagine this perfume floating in the wake of a tall, slender brunette, whose moves are confident, whose voice is accustomed to giving orders, and whose fingers are slightly darkened by tobacco. She is one of those women who always wears a suit, even at midnight at the Savoy…”

In the same period, an ad, also quoted by Stamelman, warns that “well-bred ladies [will find] its scent improper”…


Today, Cuir de Russie is probably a little less animalic than in its original version: the castoreum used, if any, is no longer the Russian variety with its birch tar facets (Russian beavers eat birch), but rather the Canadian stuff (Canuck beavers feed on conifers).


But it is still an invitation to travel – travel in a bygone era of Hermès trunks and luxuriously upholstered cars rushing to Saint-Petersburg… An era for which even 20 year-old American students can yearn. But it remains as modern as a leather jacket slipped over a little black dress – which, to me, feels like home.


Chanel Cuir de Russie is now available solely in 200 ml eau de toilette bottles, in the Exclusifs collection. Despite rumors to the contrary, the parfum is still sold in 30 ml bottles in both of Chanel’s Parisian boutiques. Though the parfum most fully expresses the beauty of the composition, the eau de toilette is also excellent and well worth the price.


Image: Chanel 1922 “Russian” model from Vogue (document kindly forwarded by Octavian Sever Coifan of 1000fragrances from his own archives).

Chanel Cuir de Russie, odeur émancipée



Lorsque j’ai accompagné un groupe d’étudiantes du London School of Fashion à l’exposition Années Folles du Musée Galliéra au début de cette année, je leur ai fait sentir quelques parfums de l’époque : Cocktail de Jean Patou, My Sin de Lanvin, Shalimar, N°5… et Cuir de Russie de Chanel. À mon grand étonnement, plusieurs d’entre elles (pour la plupart des Américaines de 19/20 ans) ont préféré ce dernier, parfum un peu sale, animal dans son raffinement, alors qu’elles portent habituellement les omniprésents fruités floraux à senteur de shampooing…

Est-ce par comparaison, parce que les aldéhydes font « vieille dame » à leur nez ? Parce que le mot « cuir » leur fournit un repère par rapport aux grands abstraits des années 20 ? Ou par simple phénomène de transfert sur la conférencière qui ne pouvait cacher son amour immodéré pour ce parfum ?


Car, oui, s’il n’y en avait qu’un pour moi, ce serait peut-être celui-là.


Ce fond chaud, un peu gras, un peu goudronné de styrax, de bouleau et de castoréum, qui évoque discrètement le cuir le plus luxueux, est ouvragé, piqué par le pétillement des aldéhydes ; ces milliers de piqûres dans la matière cuirée permet à l’iris d’y pénétrer, d’ouvrir la composition, de l’assécher. Et quand l’iris fuse, il entraîne avec lui les notes florales : rose, jasmin, ylang-ylang, fleur d’oranger…


C’est là tout le génie de la composition. Cuir de Russie (1924) n’est pas le premier parfum du genre – le « cuir de Russie » était déjà un genre en soi depuis le lancement de deux compositions de ce nom par Guerlain et Rimmel en 1875, et près d’une cinquantaine furent lancés avant les années 1960… Ce n’est même pas le premier cuir féminin : cet honneur revient au Tabac Blond de Caron (1919), qui tire plutôt vers l’oriental.


Mais c’est un cuir à l’écriture très particulière à cause de la forte dose d’iris qui fait dire à Luca Turin qu’il s’agit plutôt d’un iris cuiré que d’un cuir à proprement parler. La structure même du parfum (comme celles de Bois des Iles ou du N°22), représente une évolution de celle du N°5 qui, surtout dans ses versions vintage, dégage déjà une petite odeur cuirée. Ainsi, le Cuir de Russie de Chanel est bien avant tout un parfum Chanel/Beaux très fortement signé : un aldéhydé floral cuir plutôt qu’un cuir en soi comme, par exemple, le plus tardif Cuir de Russie de L.T. Piver…


Cependant, lorsque Gabrielle Chanel décide de l’ajouter à son catalogue, ce n’est pas uniquement pour proposer une référence à la mode (parmi les parfums Chanel disparus, on compte des passages obligés de toutes les maisons à l’époque : Jasmin, Rose, Chypre…). Car les rapports qu’elle entretient à la Russie, particulièrement en vogue dans le Paris de l’après Première Guerre Mondiale qui a vu un afflux de Russes Blancs, sont très étroits. Non seulement Ernest Beaux, est Russe et a été le parfumeur de la cour du Tsar, mais Chanel elle-même est très proche des milieux russes par ses amis, l’imprésario Serge Diaghilev, le compositeur Igor Stravinski, le danseur Serge Lifar, et son amant, le Grand Duc Dimitri avec lequel elle a une liaison de 1920 à 1923. C’est d’ailleurs sans doute ce dernier qui l’a présentée à Ernest Beaux.

La Russie est aussi une source d’inspiration pour ses collections de cette période : elle emprunte au vestiaire des moujiks la blouse russe ; elle travaille les fourrures ; ses étoffes s’enrichissent des riches broderies produites par l’atelier de la propre sœur de Dimitri, la grande-duchesse Marie.


Quant au cuir, il est également dans l’air du temps. Matière traditionnellement liée aux activités masculines (automobile, aviation, voyages, fauteuils de club anglais) que s’approprient de plus en plus les Garçonnes, il devient l’emblème olfactif de l’émancipation féminine.

La maison Chanel est très consciente de cette dimension : un texte de 1936, sans doute fourni aux vendeuses et retrouvé par Richard Stamelman qui le cite dans Perfume : Joy, Obsession, Scandal, Sin, ne laisse aucun doute là-dessus. Selon cet exemple de discours proto-marketing,


« c’est le parfum même du voyage, de la cabine transatlantique, de la chambre d’hôtel où elle referme de somptueuses valises (…). C’est pourquoi j’imagine facilement ce parfum flottant dans le sillage d’une grande brune mince aux gestes assurés, dont la voix est accoutumée à donner des ordres, et dont les doigts sont légèrement foncés par le tabac. C’est l’une de ces femmes qui porte toujours un tailleur, même à minuit au Savoy… »

Une publicité de l’époque, également reproduite par Stamelman, ajoute que « les femmes bien élevées » le trouveront peut-être « inconvenant ».


Avec son fumet discrètement animal, Cuir de Russie le reste, bien qu’aujourd’hui, si l’extrait inclut du castoréum, ce n’est plus hélas le castoréum de Russie (les castors russes se nourrissent de bouleau, ce qui renforce l’odeur cuirée, puisque la note « cuir » est entre autres produite par le goudron de bouleau) mais, sans doute, celui du Canada (les castors canadiens grignotent des conifères).


Mais il reste aussi une invitation au voyage – voyage dans une époque révolue de malles Hermès et d’automobiles luxueusement capitonnées filant jusqu’à Saint-Pétersbourg… Dont même les étudiantes américaines d’aujourd’hui peuvent avoir une inconsciente nostalgie. Il demeure cependant aussi moderne qu’un blouson de cuir glissé sur une petite robe noire.


Le Cuir de Russie est uniquement disponible dans les boutiques Chanel en flacon de 200 ml d’eau de toilette, dans la collection Les Exclusifs. Il est également proposé en parfum, en 30 ml. Bien que le parfum exprime plus pleinement la beauté de la composition, l’eau de toilette est également excellente.


Image : Publicité pour Chanel Cuir de Russie tirée du magazine Votre Beauté, novembre 1936, reproduite dans Perfumes de Richard Stamelman.

lundi 22 septembre 2008

Gucci Rush: Unapologetically Synthetic



Launched in 1999 by Tom Ford, then at the height of his success as the mastermind of Gucci’s renaissance, Rush owes as little to nature as a polyester disco dress draped over a pair of silicone-enhanced breasts. And that’s the charm of it: Rush is ostentatiously artificial, good-natured and a little cheap, a perfectly balanced product of the more is more, tongue-in-cheek Fordian aesthetics.

Mostly, Rush is about the skillful overdose of three materials: C-12 aldehydes (the ones that smell like metal heated by an electric coil), decalactone (the peach smell of Mitsouko), and jasmolactone (a jasmine reduced to its smallest denominator, then blown up a thousand times). The notes given by Osmoz (gardenia, freesia, jasmine, rose, coriander, vanilla, patchouli and vetiver) collapse under the onslaught of these synthetic molecules: a hint of rose, vanilla to fill out the peach lactone, and a patchouli base eventually emerge.

The effect doesn’t evolve much over time: it is as flat as the red plastic bottle that holds it. But it sizzles with a bluish glow, like neon strips on lacquered peach walls, or seen through a glass of a sparkling Bellini cocktail. According to Chandler Burr of the New York Times, it is the exact smell of a hairdressing salon; Luca Turin compares it to an alien with warm blood.

Despite its provocative name, Rush doesn’t take itself seriously. But this perfectly post-modern artifact is a contemporary classic, because it succeeds according to its own terms: synthetic materials, displayed as such.


Image: Empress of India 2 by Bertrand Lavier (2005)

Gucci Rush, synthétique et fier de l’être


Lancé en 1999 par Tom Ford, responsable de la renaissance de la vénérable maison italienne Gucci dont il était le directeur artistique depuis 1990, Rush doit aussi peu à la nature qu’une robe disco en polyester sur une paire de seins siliconés. Et c’est là son charme : cet artifice affiché, pimpant, un peu cheap et parfaitement équilibré dans son esthétique second degré du more is more.

Surdosé en aldéhydes C-12 avec leur odeur de métal chauffé par une résistance électrique, surdosé en décalactone (celui-là même qui donne son odeur de pêche à Mitsouko), surdosé en jasmolactone, jasmin réduit à son plus petit dénominateur, puis amplifié 1000 fois, Rush est bien fidèle à son nom qui évoque la montée d’euphorie accompagnant la prise de certaines drogues. Les notes citées par Osmoz (gardénia, freesia, jasmin, rose, coriandre, vanille, patchouli et vétiver) succombent à cette ruée de molécules d’où émergent, éventuellement, un soupçon de rose, la vanille qui étoffe la lactone pêche, et un fond de patchouli.

L’effet, peu évolutif et plat comme le boîtier en plastique rouge qui le contient, irradie une lueur bleutée grésillante de néon fixé sur un mur laqué pêche, ou vu à travers un coupe pétillante de Bellini. Selon Chandler Burr du New York Times, c’est exactement l’odeur d’un salon de coiffure haut de gamme ; Luca Turin, lui, souligne sa bonne humeur et le compare à un extraterrestre qui aurait le sang chaud.

Parfait artefact post-moderne, malgré son nom sulfureux, Rush ne se prend pas au sérieux. Ce qui n’en fait pas moins un classique contemporain, précisément parce qu’il réussit dans les termes mêmes qu’il se propose, ceux de matériaux de synthèse joués comme tels.


Image: Telluride 2 de Bertrand Lavier (2005)